Depuis l’Hôtel de Matignon, François Bayrou tente de sauver une réforme rejetée par l’opinion : derrière les grandes déclarations, l’illusion d’un consensus. © Alain JOCARD / AFP

✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne

📅 Publié le 30 juin 2025

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Alors que 63 % des Français prédisent la sortie de Bayrou avant la fin de l’année, le gouvernement joue la montre sur les retraites. Derrière le rideau de fumée des “avancées” mises en scène, la CGT démonte point par point cette mascarade sociale, et rappelle son exigence première : l’abrogation immédiate de la réforme des retraites à 64 ans. Analyse au scalpel, chiffres à l’appui.

Un échec annoncé, un enfumage confirmé, une colère intacte.

On croyait avoir tout vu depuis le passage en force de la réforme des retraites par 49.3, voilà qu’on nous rejoue le sketch de la concertation sociale avec, en guest-star, François Bayrou, nouveau prestidigitateur du social. Quatre mois de conclave, 18 réunions, un texte final que personne ne signe, mais que le Premier ministre ose qualifier d’« accord implicite ». Implicite, comme les promesses non tenues. Implicite, comme les renoncements masqués. Implicite, surtout, comme le mépris ouvert pour les millions de Français qui ont battu le pavé en 2023.

Heureusement, la CGT ne mange pas de ce pain-là. Trois mois après avoir quitté la table, elle garde une ligne claire, défendue avec rigueur par Denis Gravouil, secrétaire confédéral en charge du dossier : le seul vrai point de départ d’une négociation, c’est l’abrogation de la réforme et le retour à 62 ans. Point. « Ce n’est pas une négociation quand le sujet central est interdit de débat. »

Et pour cause : cette réforme ne se contente pas de maintenir les 64 ans, elle ouvre la porte à un départ à 65 ou 66 ans en fonction de la démographie. Vous avez dit progrès social ? C’est plutôt une marche arrière toutes, emballée dans un papier cadeau républicain.

Des miettes… empoisonnées

Parmi les “avancées” saluées par le gouvernement, on trouve une baisse de l’âge de décote de 67 à… 66,5 ans. Une victoire symbolique ? Non, une poudre de perlimpinpin. Une tentative désespérée de donner le change alors que les vrais reculs s’accumulent.

Ainsi, pour 5 000 femmes qui pourraient légèrement voir leur pension revalorisée, ce sont 60 000 carrières longues sacrifiées, dont les droits à retraite anticipée seraient tout bonnement rabotés. On appelle ça comment ? Un troc social ? Une arnaque comptable ?

Quant à la gouvernance du système, l’ombre de l’Agirc-Arrco plane. Derrière les sigles techniques, une logique de financiarisation qui fixe les pensions selon les moyens, pas les besoins. Et surtout : sans toucher aux cotisations patronales, ce tabou suprême du capital.

6 milliards volés chaque année aux retraités

Le tableau est simple. Pour 1 milliard d’euros de “progrès” par an, ce sont 6 milliards de pertes pour les retraités, à travers une sous-indexation des pensions. Autrement dit : l’inflation grimpe, mais les retraites restent à quai. Le gouvernement appelle ça un compromis. Nous, on appelle ça une escroquerie légale.

François Bayrou : le clown blanc de Matignon

Difficile de faire plus pathétique que la conférence de presse du 27 juin. Bayrou, l’œil humide, le verbe vibrant, ose parler de « remarquable climat de franchise » et de « progrès impressionnants ». Le tout alors que même ses partenaires de négociation n’y croient plus.

Face aux critiques, il invente un nouveau concept : l’accord invisible. Comme dans un tour de magie : rien dans les mains, rien dans les poches, mais il y aurait consensus. D’aucuns parlent de méthode Delors, Bayrou préfère celle de l’illusionniste. Et le public n’applaudit pas. D’ailleurs, pour 78 % des Français, le conclave des retraites est un échec pour Bayrou et 63% pensent qu’il sera censuré avant la fin de l’année . Et ce n’est pas un sondage commandé par la CGT, c’est Odoxa qui le dit.

La réalité ouvrière, elle, ne trompe pas

Pendant ce temps-là, les salariés en caisse, en chambre froide, en EHPAD ou sur les échafaudages trinquent. Le compte pénibilité reste à moitié vide. La prévention ne remplace pas le droit au repos. Le C2P (compte professionnel de prévention), censé permettre des départs anticipés pour les métiers les plus éprouvants, est sous-utilisé, sous-financé et restreint dans ses critères.

Et c’est justement là que le bât blesse : les syndicats, la CGT en tête, réclament depuis des mois un élargissement des facteurs de pénibilité reconnus dans le C2P. Ils demandent que des réalités bien connues soient enfin prises en compte, comme le port de charges lourdes, les vibrations mécaniques, les postures pénibles, ou encore le travail à la chaleur, au froid ou en horaires décalés. Ces conditions concernent des millions de salariés dans l’industrie, le bâtiment, le maraîchage ou le commerce.

Mais le patronat s’y oppose frontalement. Sa ligne rouge ? Pas d’ouverture sur les droits, uniquement de la “prévention” ou de la “reconversion”. Et encore : à condition qu’un avis médical individuel confirme l’usure du travailleur. Autrement dit : on remplace un droit collectif par une procédure au cas par cas, longue, incertaine et dissuasive. Ce n’est plus de la réparation, c’est un parcours d’obstacles. « La pénibilité n’est pas un ressenti ou une option, c’est une réalité objective que l’on doit reconnaître dans la loi. Sinon, c’est l’arbitraire qui l’emporte. »

Même les timides propositions du gouvernement n’étaient pas à la hauteur. Une simple visite médicale à 45 ans pour “évaluer” l’orientation de carrière ? Rien de neuf, puisque cet outil existe déjà depuis 2024. Ce n’est ni une avancée, ni un changement structurel. Pendant ce temps, les travailleurs, eux, continuent de s’user physiquement… et de partir plus tard.

Ce que les Français en pensent ? Qu’il faut arrêter les frais

Pas besoin de conclave pour lire l’opinion publique. Depuis deux ans, tous les sondages se suivent et se ressemblent. Selon une étude récente de l’Ifop, plus de 70 % des Français restent opposés au recul de l’âge légal à 64 ans. Même les électeurs de droite s’y disent majoritairement défavorables. Autant dire que la réforme n’a ni légitimité démocratique, ni assise populaire.

Et le pire, c’est que les débats actuels n’abordent même plus la question des 64 ans, comme si c’était digéré. Mais la pilule reste en travers de la gorge.

Le Rassemblement national face à la réforme : silence radio

Alors que la CGT exige l’abrogation de la réforme des retraites, le Rassemblement national reste en retrait. Officiellement opposé aux 64 ans, il refuse pourtant de voter la censure du gouvernement.

Derrière les discours de façade, aucune initiative parlementaire concrète, aucun soutien aux mobilisations syndicales. Sur les retraites comme sur les droits sociaux, les priorités du RN sont ailleurs.

Plutôt que de s’en prendre au patronat ou aux réformes antisociales, le RN préfère désigner l’étranger comme responsable de tous les maux. Une vieille recette : l’identité avant la solidarité, les boucs émissaires avant les droits collectifs.

Pour la CGT, il ne suffit pas de parler au nom du peuple : encore faut-il défendre ses conquêtes sociales.

Et maintenant ? Face à la résignation, reconstruire la lutte

La séquence du conclave se termine dans le flou, mais une autre question plus profonde reste posée : les Français sont-ils résignés ou veulent-ils encore lutter ?

La réforme des retraites a été imposée en 2023 par le 49.3, contre l’avis d’une majorité parlementaire et contre la volonté clairement exprimée dans la rue. Depuis, la colère s’est heurtée au mur institutionnel, et pour beaucoup, c’est un goût amer de défaite qui s’est installé. Le pouvoir mise sur cette fatigue. Il espère que les travailleurs ont tourné la page.

Mais c’est une illusion dangereuse, car la réforme continue de frapper, jour après jour. Les 64 ans deviennent une réalité pour des millions de salariés épuisés, usés, ignorés. La pénibilité s’aggrave, les inégalités explosent, et l’injustice demeure entière. Et rien, dans les propositions gouvernementales ou patronales, ne vient réparer cela.

La seule chose qui pourra imposer l’abrogation de cette réforme, c’est la lutte. Rien d’autre.

La CGT le dit avec force : les sondages ont beau le démontrer, nous ne convaincrons pas dans le silence, ni dans les salons feutrés. Ce n’est que par la mobilisation, la présence sur le terrain, la pression sociale, que les rapports de force pourront de nouveau être renversés. Et cela commence par une prise de conscience : l’avenir ne se construira pas sans effort, mais il ne se construira pas non plus sans nous.

Le temps du conclave est terminé. Le vrai rendez-vous, c’est celui du peuple avec lui-même. Ce sera long, ce sera dur. Mais l’histoire du mouvement ouvrier prouve une chose : les victoires n’arrivent jamais sans luttes sociales.