La délégation de l’Intersyndicat CGT du Champagne reçue au Parlement européen aux côtés des députés du groupe de la gauche : une étape décisive pour porter la voix des vendangeurs et exiger la fin de l’exploitation dans les vignes.
✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 08 septembre 2025
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Le 10 septembre 2025, une délégation de l’Intersyndicat CGT du Champagne a été reçue à Strasbourg par plusieurs députés européens du groupe de la gauche. Objectif : dénoncer les abus commis par certains vignerons et prestataires à l’encontre des saisonniers, et porter ce combat au niveau européen. À l’issue de la rencontre, le député Anthony Smith a annoncé qu’il proposerait l’organisation d’une audition publique au Parlement européen, afin de donner une résonance internationale à cette lutte.
Une délégation champenoise à Strasbourg
La réunion s’est tenue dans les locaux du Parlement européen en présence de membres du groupe de gauche the Left : Anthony Smith, Arash Saïdi, (membre de la commission Agriculture), Hanna Gedin ( membre de la commission Emploi) et Enrico Somaglia, secrétaire général de l’EFFAT (Fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme).
La délégation de l’Intersyndicat CGT du Champagne était composée de José Blanco (secrétaire général), Philippe Cothenet (secrétaire général adjoint), Sébastien KRS, Rodolphe Beaudet, Noël Sainzelle et Thierry Aubertin, tous membres du secrétariat. Les échanges ont été couvert par une journaliste qui avait déjà couvert les vendanges de la honte 2023. Ils ont exposé sans détour la réalité vécue chaque année par des milliers de saisonniers : bidonvilles, logements de fortune sous tentes ou dans des hangars, salaires rognés, journées interminables et pressions patronales.
La CGT souligne que ces abus, principalement le fait d’une minorité de vignerons, de maisons et surtout de prestataires peu scrupuleux, se maintiennent dans une omerta entretenue par certains élus locaux. Ils portent pourtant atteinte à l’ensemble de la profession et ternissent l’image d’un produit de luxe censé incarner l’excellence française. Des pratiques que la CGT combat chaque année, dans l’objectif de les éradiquer afin de rendre cette filière de l’industrie du luxe plus juste et plus vertueuse.
Des pratiques d’un autre âge dans les vignes
Depuis 2018, la CGT Champagne mène une lutte constante contre ce qu’elle appelle les « vendanges de la honte ». La délégation a rappelé que certains employeurs continuent de loger les travailleurs dans des conditions indignes, allant jusqu’à fournir des bâches plastiques et des palettes en guise d’abri. Face aux pressions syndicales, certains bidonvilles ont été fermés par arrêté préfectoral, mais les pratiques qui perdurer ont simplement changé de forme : Hotels en surcapacités d’hébergement, campements illégaux, hébergements sous tente dissimulés sous des rotondes ou dans des hangars. Et, comme c’est encore le cas au moment où nous écrivons ces lignes, des saisonniers dorment sur des matelas à même le sol sous la halle du marché de la place Fada N’Gourma à Épernay, une scène captée en permanence par la caméra de vidéo surveillance de la police municipale, et face à laquelle les autorités locales choisissent de fermer les yeux.
Les abus ne concernent pas seulement la période des vendanges. Désormais, des filières entières de main-d’œuvre étrangère sont mobilisées tout au long de l’année pour les travaux de la vigne de la taille à la vendange. La Champagne organise une délocalisation invisible de la main-d’œuvre : l’AOC lui interdit de déplacer la production, donc elle importe en masse une force de travail vulnérable, facile à exploiter, et qu’on peut remplacer à volonté.
Une profession qui perd son attractivité
La délégation CGT a mis en évidence un autre danger : la perte d’attractivité des métiers viticoles. Alors que les lycées viticoles d’Avize ou de Gionges forment chaque année des jeunes hautement qualifiés, ceux-ci renoncent à faire carrière dans le vignoble. Salaires trop bas, travail pénible, mise en concurrence avec des travailleurs venus de l’étranger : tout concourt à décourager la relève locale.
Les militants rappellent qu’autrefois, il fallait passer des concours de taille pour accéder à des salaires valorisés. Ces exigences ont été progressivement supprimées afin de rendre les tâches accessibles à des travailleurs peu formés, recrutés rapidement via les prestataires. Résultat : les savoir-faire disparaissent, les jeunes désertent, et la filière se fragilise à long terme.
Des drames humains répétés et évitables
La délégation a rappelé les drames récents : en 2023, cinq saisonniers sont morts en une semaine sous l’effet des fortes chaleurs. Déjà en 2018, la CGT avait alerté les pouvoirs publics après l’affaire des hébergement indignes de Oiry, en proposant des plans d’action concrets sur les conditions de travail et l’hébergement. Rien n’a été entrepris. Les autorités se sont contentées de mettre en place des chartes non contraignantes, reposant sur l’autodiagnostic des sociétés de prestataires.
La CGT dénonce cette hypocrisie : « confier la sécurité des saisonniers à la seule bonne volonté des prestataires sans responsabilisé et sanctionner les donneurs- d’ordres revient à mettre la poussière sous le tapis. » Pour le syndicat, l’inaction des pouvoirs publics équivaut à cautionner un système qui maximise les profits au détriment de la santé et de la dignité humaine.
L’Europe face à l’esclavage moderne
Hanna Gedin, députée suédoise membre de la commission Emploi, a déclaré que la situation décrite relevait clairement de « l’esclavage moderne » et a affirmé son soutien à la CGT champagne.
Enrico Somaglia (EFFAT) a replacé le cas champenois dans un cadre plus large : l’agriculture européenne concentre 32 % de travail non déclaré, plus de 500 décès chaque année et environ 150 000 accidents du travail. Il a détaillé trois priorités d’action pour le mouvement syndical européen :
- Renforcer la conditionnalité sociale de la PAC : les aides publiques doivent être conditionnées au respect des droits sociaux et du droit du travail.
- Encadrer la sous-traitance et l’intermédiation illégale : création d’un registre européen des prestataires et renforcement des inspections, pour casser les filières d’exploitation.
- Fixer une température maximale de travail : afin de protéger les saisonniers contre les canicules de plus en plus fréquentes.
L’EFFAT alerte aussi sur les accords commerciaux déséquilibrés, qui mettent en concurrence les producteurs européens avec des pays ne respectant pas les mêmes standards sociaux et environnementaux.
Une filière riche qui détourne les règles
La délégation CGT a rappelé que le Champagne, élaboré à partir des raisins les plus chers du monde, génère un chiffre d’affaires qui avoisine régulièrement les 6 milliards d’euros. La filière a donc les moyens d’embaucher et de loger correctement. Pourtant, une minorité de vignerons préfère externaliser les coûts humains en s’appuyant sur des prestataires douteux, parfois liés à des réseaux mafieux, qui rognent sur les salaires et exploitent les travailleurs les plus vulnérables en les soumettant à des conditions de travail et d’hébergement indignes.
Cette situation ternit l’image du Champagne dans son ensemble, alors même que la majorité des vignerons et des maisons de négoce respectent les règles. Pour la CGT, il est urgent que tous les acteurs de la filière s’unissent pour mettre fin à ces pratiques et ainsi ne pas laisser une minorité déshonorer toute la profession.
Une loi sur le devoir de vigilance déjà fragilisée
La délégation CGT a également alerté sur la remise en cause de la loi sur le devoir de vigilance. Ce texte, qui devait entrer pleinement en vigueur à partir de 2026, oblige les grandes entreprises à contrôler leur chaîne de sous-traitance et à prévenir les atteintes aux droits humains. Or, au lieu de renforcer ce cadre, la Commission européenne et une partie des forces politiques travaillent déjà à l’édulcorer.
Dans sa version actuelle, le texte est limité aux entreprises de plus de 1 000 salariés, ce qui exclut une grande partie des acteurs de la filière Champagne qui recourent pourtant à la sous-traitance abusive. Pire encore, certains amendements visent à réduire encore le champ d’application, en ne couvrant que les relations directes et en exonérant de fait les donneurs d’ordres de toute responsabilité sur l’ensemble de la chaîne.
Pour la CGT, il s’agit d’un recul inacceptable : « Alors que la loi devait protéger les travailleurs et responsabiliser les donneurs d’ordres, elle risque de devenir un simple outil d’affichage. Tant que les prestataires pourront enchaîner les sous-traitances en cascade sans contrôle, les abus continueront. »
Des leviers politiques identifiés
Arash Saïdi a rappelé que les monopoles de distribution d’alcool dans les pays nordiques, sensibles aux questions sociales, peuvent jouer un rôle majeur. Si ces marchés stratégiques se ferment au Champagne en raison des conditions de production ne respectant pas les droits de l’homme, l’impact économique pourrait être considérable.
Le député a insisté sur la nécessité de renforcer les contrôles et d’appliquer de véritables sanctions. Selon lui, il ne suffit pas de produire des règles vertueuses : encore faut-il qu’elles soient mises en œuvre avec des inspections régulières et des pénalités dissuasives.
Tous les participants ont convenu que l’argent public de la PAC ne peut continuer à financer des pratiques assimilables à de l’esclavage moderne.
Pour une traçabilité sociale
La délégation CGT a également insisté sur la nécessité d’une transparence accrue dans la filière. Elle a rappelé que, dans d’autres secteurs comme l’élevage, le consommateur est informé des conditions de production grâce à des mentions claires telles que « élevage en plein air » ou « élevage en intérieur ». Cette traçabilité a contribué à éveiller les consciences et à orienter les choix d’achat.
Pour la CGT, une démarche similaire doit être engagée dans la viticulture : un label social obligatoire sur les bouteilles de Champagne pourrait garantir que les travaux saisonniers ont été réalisées dans des conditions dignes et conformes au droit de l’homme. Une telle mesure donnerait au consommateur la possibilité de choisir en connaissance de cause et en toute confiance et exercerait une pression directe sur les producteurs pour qu’ils adoptent des pratiques plus vertueuses.
Une audition publique en préparation
En conclusion, Anthony Smith a salué la ténacité de la CGT Champagne et annoncé qu’il proposerait l’organisation d’une audition publique au Parlement européen. Cet événement inédit permettrait de confronter directement les acteurs de la filière à leurs responsabilités, de donner une résonance internationale aux luttes menées localement et de placer les droits des travailleurs agricoles au centre du débat européen.
La bataille continue
Pour l’Intersyndicat CGT du Champagne, l’enjeu est clair : préserver l’image du Champagne en garantissant des conditions de travail dignes. « Préserver le Champagne, c’est préserver l’humain », rappellent les militants, soulignant que sans les vendangeurs et les saisonniers, il n’y aurait pas de vin de prestige.
L’Intersyndicat entend poursuivre ses mobilisations locales et renforcer ses liens avec les relais européens. La perspective d’une audition publique au parlement européen représente une étape décisive pour imposer une véritable responsabilité sociale dans la filière et mettre fin aux abus qui entachent encore les vendanges.
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