Procès des vendanges 2023 à Mourmelon-le-Petit : à la barre, les dossiers des parties civiles, dont la CGT Champagne, face à un système de sous-traitance mis en cause. © CGT champagne

✍️Par l’Intersyndicat CGT du champagne

📅 Publié le 28 novembre 2025

⏱️Temps de lecture 7 minutes

Le 26 novembre, un prestataire viticole a comparu devant le tribunal dans l’affaire des vendanges 2023 à Mourmelon-le-Petit. Conditions d’hébergement indignes, soupçons de fraude sociale et exploitation de travailleurs étrangers : le jugement n’est pas encore connu, mais l’audience a déjà mis en lumière les failles d’un système que la CGT Champagne dénonce depuis des années dans les RETEX (Retour d’Expérience Vendanges) organisés par le préfet de la Marne. Les peines requises sont lourdes : 3 ans de prison et 350 000 Euros d’amende. Le délibéré est fixé au 28 janvier 2026.

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Un procès qui agit comme un révélateur

L’audience du 26 novembre marque un moment important pour la filière Champagne. Non parce qu’elle incrimine la profession, mais parce qu’elle montre ce qui se produit lorsque les garde-fous sont insuffisants. L’affaire est désormais connue. Lors de la vendange 2023, près d’une centaine de vendangeurs ukrainiens ont été découverts entassés dans un immeuble insalubre à Mourmelon-le-Petit. Les alertes de riverains ont conduit les autorités à intervenir.

Les conditions de logement révélées ont choqué : absence d’eau potable, installations électriques dangereuses, promiscuité extrême, locaux indignes de toute occupation humaine. Des travailleurs livrés à eux-mêmes, alors même qu’ils contribuaient à une récolte emblématique du vignoble champenois.

Il serait faux et injuste d’en conclure que l’ensemble de la filière fonctionne sur ce modèle. La réalité est toute autre : de nombreux prestataires travaillent correctement, des maisons contrôlent avec sérieux leurs sous-traitants, des vignerons sont vigilants. Mais précisément : ce sont ces acteurs-là qui subissent aussi les conséquences d’un système insuffisamment encadré.

Car un cadre réglementaire trop faible ne se contente pas de laisser passer des abus : il crée les conditions mêmes de leur développement.

Un modèle trop perméable aux abus

Ce que révèle ce procès, ce n’est pas un fonctionnement généralisé. Ce qu’il révèle, c’est une fragilité structurelle. Créer une société de prestation viticole aujourd’hui est rapide. L’encadrement, lui, arrive tard. Trop tard parfois. Les contrôles sont généralement a posteriori, quand le mal est fait, quand les travailleurs ont déjà subi, quand les fraudes sont consommées.

Dans une activité aussi intense socialement que les vendanges, avec des flux humains importants, des publics parfois très vulnérables, et des périodes extrêmement concentrées dans le temps, cette faiblesse est dangereuse. Non pour la profession en tant que telle, mais pour un cadre trop permissif qui permet à une minorité d’acteurs de prospérer sur la fraude et l’exploitation.

La majorité des acteurs effectuent leur travail correctement. Mais le système, lui, laisse entrer les pires.

La facilité de créer une entreprise… sans exigence de qualification

Ce que cette audience démontre, c’est à quel point il est aujourd’hui simple de créer une société de prestation viticole pour intervenir pendant les vendanges. En pratique, quelques démarches administratives suffisent pour déclarer une activité de travaux viticoles. Il n’existe ni autorisation préalable spécifique, ni exigence de qualification professionnelle obligatoire, ni contrôle avant le début des chantiers.

Autrement dit, n’importe qui peut juridiquement créer une société de prestation vendanges, recruter des salariés et intervenir auprès des exploitations, sans justifier d’une expérience, d’une formation ou d’une compétence reconnue dans le domaine viticole.

Dans une activité qui mobilise des dizaines de milliers de travailleurs chaque année, dans des conditions parfois extrêmes, cette absence de filtre est lourde de conséquences. Elle ne vise pas les prestataires sérieux qui, eux, se forment, investissent et s’organisent dans la durée. Elle révèle en revanche la fragilité d’un système qui n’empêche aucunement l’entrée d’acteurs sans scrupules, sans savoir-faire, sans garantie financière, sans culture sociale ni la moindre connaissance en droit du travail.

Ce vide réglementaire n’est pas neutre. Il permet à des entrepreneurs aux pratiques mafieuses de créer des entreprises pour une saison, d’exploiter, de disparaître, puis de recommencer sous un autre nom l’année suivante.

Pour la CGT Champagne : l’exploitation de la misère humaine comme ligne rouge

Lors de l’audience, la CGT Champagne n’a pas attaqué une profession. Elle a pointé une dérive.

Dans cette affaire, le recrutement de travailleurs ukrainiens n’est pas anodin. Des femmes et des hommes fuyant un conflit armé ont été intégrés dans un dispositif qui les a rendus dépendants, invisibles et corvéables. La guerre ou la grande précarité ne sont pas des arguments de recrutement. Elles sont devenues, ici, un facteur de vulnérabilité exploité.

La CGT Champagne a rappelé que le problème ne se réduit pas à une infraction sociale. Il est moral, humain, politique. L’exploitation de la misère ne peut pas être un modèle économique, même marginal.

C’est pourquoi la CGT Champagne ne se contente pas d’alerter après les scandales, mais avance des propositions concrètes pour empêcher qu’ils se reproduisent. Elle formule une proposition : la création d’un label HVS, Haute Valeur Sociale.

À l’image du label HVE pour l’environnement, le label HVS garantirait que le champagne a été produit dans le respect des droits sociaux, des règles du travail et de la dignité humaine.

Ce label n’aurait pas pour objectif de jeter l’opprobre sur une profession, mais de distinguer clairement les entreprises respectueuses des droits humains de celles qui ne le sont pas, de valoriser les bonnes pratiques et d’exclure celles qui relèvent de l’exploitation.

Le consommateur peut aujourd’hui acheter un champagne labellisé HVE pour ses pratiques de haute valeur environnementale, sans disposer de la moindre information sur les conditions sociales de sa production. Cette contradiction n’est plus acceptable.

Un label HVS enverrait un message clair : la qualité d’un champagne se mesure aussi à la façon dont on traite celles et ceux qui le produisent.

Ce que la MSA a mis au jour : fraude sociale… et attractivité pour les profils criminels

La MSA a apporté à l’audience une démonstration chiffrée de la fraude. Les vendangeurs étaient payés à la tâche, mais déclarés à l’heure. Cette opacité volontaire a permis de réduire artificiellement les salaires et de diminuer les cotisations sociales. Le préjudice est établi : 206 000 euros de cotisations éludées.

Ce n’est pas une erreur comptable, c’est une fraude organisée.

Mais les premières victimes de ce système sont les salariés eux-mêmes. Leur rémunération ne correspondait pas aux bases légales ni aux usages de la profession. Ils étaient payés au plus bas, sans transparence, sans garantie sur le nombre réel d’heures travaillées ou les quantités de kilos de raisins coupées, ni sur la valeur du travail effectué.

La différence entre ce qui aurait dû être versé et ce qui a effectivement été payé ne s’est pas évaporée : elle a été captée par le prestataire.

Ce montage frauduleux a ainsi permis un double détournement : d’un côté, l’exploitation directe des travailleurs ; de l’autre, un enrichissement illégal fondé sur la misère humaine.

Mais un élément plus inquiétant encore est apparu lors de l’audience : le dirigeant poursuivi n’est pas un entrepreneur improvisant des pratiques illégales par ignorance. Son passé judiciaire fait état de condamnations antérieures pour trafic de stupéfiants.

Ce point est fondamental : cette affaire montre que le système de sous-traitance viticole, lorsqu’il est insuffisamment encadré, n’attire pas seulement des prestataires. Il peut aussi attirer des profils issus de la délinquance.

Quand un secteur devient rentable sans être suffisamment verrouillé, il attire ceux qui savent détourner, dissimuler, exploiter. Ce n’est pas la profession qui est en cause. C’est la porosité du système.

Et cette porosité met en danger tout le monde : les travailleurs, la filière et les acteurs responsables.

Le Comité Champagne : l’auto-contrôle ne suffit pas

À travers ses explications à l’audience, le conseil du Comité Champagne a indirectement mis en évidence les limites du dispositif VitiArgos, fondé principalement sur l’auto-déclaration des prestataires.

Sans contrôle extérieur ni obligation de validation, la plateforme ne garantit que ce que les entreprises veulent bien déclarer. On détecte après. On réagit après. On ne bloque pas avant.

Le label HVS, pour protéger les travailleurs… et la filière

Ce procès n’est ni un verdict ni une condamnation générale. Il est un avertissement.

La Champagne compte des prestataires sérieux, des maisons exigeantes, des vignerons responsables. Mais elle fonctionne dans un cadre trop fragile, qui laisse une minorité toxique nuire à l’image et à l’éthique de toute une profession.

Le label HVS (Haute Valeur Sociale) est une réponse constructive. Il ne dénonce pas, il distingue. Il ne punit pas, il protège. Il ne stigmatise pas, il engage.

La Champagne mérite mieux qu’un modèle où la misère humaine peut parfois se glisser dans les bulles du roi des vins.

La CGT Champagne milite pour une filière propre, socialement, réellement, durablement.

Une alerte répétée, une responsabilité collective

Cette audience n’a pas mis au jour des dérives inconnues. Elle est venue confirmer, point par point, ce que la CGT Champagne alerte et documente depuis des années dans le cadre des RETEX réunissant l’ensemble des acteurs de la filière sous l’autorité du préfet de la Marne.

La facilité de créer des sociétés de prestation sans exigence de qualification ni contrôle préalable, l’opacité du travail à la tâche lorsqu’il sert à masquer des rémunérations au rabais, les limites structurelles d’un système déclaratif comme VitiArgos lorsqu’il n’est adossé à aucun contrôle indépendant, et l’absence d’un outil permettant de distinguer clairement les pratiques responsables des pratiques prédatrices : toutes ces failles ont été soulevées, débattues et mises sur la table bien avant que la justice ne s’en empare.

Dans ces instances, la CGT Champagne n’a pas seulement dénoncé. Elle a formulé des propositions concrètes. Parmi elles figure la création d’un label HVS, Haute Valeur Sociale, destiné à garantir que le champagne est produit dans le respect des droits humains, des règles sociales et de la dignité des travailleurs.

Ce label n’aurait pas pour vocation de stigmatiser une profession, mais de donner de la visibilité aux acteurs respectueux des règles et de fermer la porte aux pratiques relevant de l’exploitation.

Cette audience ne remet pas en cause les avancées obtenues, notamment dans le cadre de la campagne « Ensemble pour la vendange ». Des progrès ont été engagés, des outils ont été créés, des prises de conscience ont émergé.

Mais elle montre aussi que ces dispositifs, s’ils vont dans le bon sens, restent insuffisants pour garantir que de telles situations ne puissent plus se reproduire. Elle confirme qu’une politique sociale de la vendange ne peut pas reposer uniquement sur la bonne volonté, mais doit s’appuyer sur des règles fermes, des contrôles réels et des outils capables de prévenir, et non simplement de réparer.

Le délibéré du tribunal est fixé au 28 janvier 2026. La décision à venir dira si la justice sanctionne ces pratiques à la hauteur de leur gravité, mais l’audience a d’ores et déjà montré une chose : les alertes portée depuis des années par la CGT Champagne étaient fondées.

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