✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 24 mars 2025
⏱ Temps de lecture 8 mn
Face à la crise qui secoue la filière Champagne, les dirigeants semblent nier l’évidence : baisse des ventes, hausse des prix, conditions de travail indignes… Faut-il y voir un simple phénomène de « Champagne Bashing » ou plutôt les conséquences de choix économiques déconnectés des réalités sociales et environnementales ? Découvrez dans cet article pourquoi l’Intersyndicat CGT du Champagne plaide pour un modèle de production plus vertueux, fondé sur des emplois pérennes et mieux rémunérés, afin de garantir l’avenir du Champagne et redonner du sens à son image de prestige.
Champagne Bashing ou déni ?
La question du « Champagne Bashing », abordée dans l’article de Sophie Claeys, souligne un phénomène de critique croissante envers le champagne. Si l’auteur plaide pour une atténuation des reproches formulés contre cette icône du vin effervescent, les arguments qu’elle avance occultent une réalité économique et commerciale incontournable : le champagne est bel et bien confronté à une crise structurelle que ses dirigeants semblent nier.
Une réalité économique alarmante
L’article de Jean-Marie Cardebat expose une baisse significative des ventes de champagne au cours des deux dernières années : 325 millions de bouteilles expédiées en 2022 contre seulement 271 millions en 2024. Cette chute des volumes est couplée à une hausse vertigineuse des prix (+40 % en trois ans), difficilement justifiable par une amélioration équivalente de la qualité. Cette politique tarifaire, visant à positionner le champagne comme un produit de luxe, a entraîné un rejet de la part des consommateurs, notamment chez les jeunes américains qui préfèrent aujourd’hui des alternatives comme le Prosecco ou les pétillants anglais.
Si Sophie Claeys tente d’atténuer ces faits en justifiant les hausses de prix par des coûts de production accrus et des investissements écologiques, elle occulte la perception des consommateurs. Pour ces derniers, la valeur perçue du champagne ne s’aligne plus sur son prix, ce qui alimente un rejet grandissant.
Une déconnexion face à la concurrence
L’article de Cardebat met en lumière un autre facteur décisif : la standardisation croissante du champagne. Les grandes maisons de Champagne ont progressivement marginalisé les vignerons indépendants, qui ne représentent plus que 18 % de la production (contre 25 % en 2000). Cette industrialisation, combinée à une hausse des prix, donne une impression de banalisation du produit, à l’opposé des valeurs d’authenticité et d’exclusivité recherchées dans le secteur du luxe.
Or, cette stratégie de standardisation contraste fortement avec les approches plus innovantes et qualitatives de certains concurrents, comme le Crémant ou le Franciacorta italien, qui gagnent en popularité.
Des problèmes sociétaux occultés
Enfin, Sophie Claeys minimise les controverses sociales et environnementales qui pèsent sur la filière. Les conditions de travail lors des vendanges, dénoncées après plusieurs décès en 2023, illustrent une crise sociale profonde. De plus, le retard de la Champagne dans la conversion au bio et le bilan carbone défavorable lié à ses bouteilles lourdes sont des enjeux que les acteurs de la filière ne peuvent plus ignorer.
Comment peut-on être dans le déni face à de tels abus ?
Au-delà de ces problématiques, il est difficile de comprendre comment les acteurs de la profession peuvent encore mimnimiser ou nier des faits aussi graves que les abus constatés dans l’hébergement des vendangeurs qui selon certains dirigeants ne représenteraient que 1 % de la filière. Des cas de logements insalubres, surpeuplés et dégradants ont été révélés, traduisant des pratiques inacceptables dans une région viticole prestigieuse. Ces dérives, parfois qualifiées de traite humaine, mettent en péril l’image du champagne et traduisent une gestion sociale défaillante qui ne saurait être ignorée.
De même, comment expliquer le déni face au recours massif aux prestataires de services dans l’ensemble du processus viticole ? De la taille des vignes aux vendanges, cette externalisation croissante engendre des conséquences négatives sur la qualité du travail et compromet le respect des conditions sociales. Une telle gestion industrielle, motivée par des objectifs de réduction des coûts, éloigne encore davantage le champagne de ses valeurs d’excellence et d’authenticité.
Vers un Champagne Bashing inévitable ?
Là où Sophie Claeys dénonce une exagération des critiques, Jean-Marie Cardebat souligne que les signes d’un « Champagne Bashing » sont bel et bien réunis : des prix jugés abusifs, une standardisation perçue comme excessive et des scandales sociaux qui ternissent la réputation de l’appellation.
Plutôt que de se défendre contre les critiques, la Champagne doit accepter ces signaux comme des appels à une remise en question nécessaire. Revaloriser les productions artisanales, renforcer les engagements écologiques et adapter les stratégies tarifaires apparaissent comme des leviers indispensables pour éviter que ce « Champagne Bashing » ne prenne de l’ampleur.
Conclusion
Le déni des dirigeants de la filière face à ces enjeux constitue un véritable danger pour l’avenir du champagne. En ignorant les signaux évidents de désaffection et en minimisant les problèmes structurels, ils risquent de laisser la crise s’aggraver.
Pour enrayer cette spirale négative, seule une transformation profonde du modèle de production et de gestion de la filière pourra restaurer la confiance des consommateurs. Il est urgent de promouvoir une production plus vertueuse, fondée sur des pratiques respectueuses des travailleurs, sur la valorisation et la pérennisation du métier de vigneron et sur une transition écologique ambitieuse. L’Intersyndicat CGT du Champagne plaide pour un modèle de production qui repose sur la création d’emplois permanents, mieux rémunérés et en nombre suffisant afin de garantir de meilleures conditions de travail, de renforcer la qualité du produit et de préserver les savoir-faire traditionnels, tout en rendant cette filière, dont les métiers viticoles sont reconnus comme un secteur en tension, plus attractive pour les travailleurs.
La Champagne ne pourra redorer son blason qu’en renouant avec ses valeurs d’authenticité, de qualité et d’engagement social. C’est par cette voie que le champagne pourra de nouveau incarner la fête et le prestige, sans trahir ceux qui le produisent.
Pour aller plus loin :
- Lire l’article de Jean-Marie Cardebat : « Vers un Champagne Bashing ? »
- Lire l’article de Sophie Claeys : « Champagne Bashing – si on arrêtait de critiquer le champagne ! »