Ils étaient 53. Dépouillés dans les vignes, dignes dans le combat. Devant le tribunal, ils ont demandé que justice soit faite. © CGT champagne
✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 22 juillet 2025
⏱️Temps de lecture 6 minutes
Un an après le scandale des vendanges 2023, la justice a rendu son verdict. Trois personnes sont condamnées pour traite d’êtres humains, des amendes sont prononcées, mais le système, lui, reste intact. La CGT Champagne salue un signal judiciaire fort, mais insuffisant. Car devant l’impunité observée pour les donneurs d’ordres, l’exploitation de la misère humaine risque de persister dans les bulles du prestigieux roi des vins.
🎥 Une vidéo en lien avec le délibéré du tribunal est disponible en bas de cet article.
Une exploitation révélée par les riverains
Il aura fallu des mois de mobilisation, d’attente et d’angoisse pour que les 57 vendangeurs floués à Nesle-le-Repons obtiennent, au moins, la reconnaissance de ce qu’ils ont subi. Recrutés dans la précarité la plus extrême, convoyés depuis la région parisienne jusqu’aux vignes de Champagne, entassés dans un logement indigne, privés d’eau chaude, de literie, de salaires et de dignité, ces travailleurs venus majoritairement d’Afrique de l’Ouest n’ont jamais vu les 80 euros par jour qu’on leur avait promis.
Ce n’est qu’à la suite d’une alerte lancée par des riverains que l’inspection du travail découvre la situation, à l’automne 2023. L’affaire fait grand bruit, révélant ce que beaucoup savaient mais taisaient : l’exploitation en Champagne n’est ni une rumeur, ni une erreur. C’est un mode réel de fonctionnement.
Une justice qui reconnaît la gravité des faits
Le 19 juin 2025, le procès s’ouvre au tribunal correctionnel de Châlons-en-Champagne. Dans la salle, les plaignants sont là, présents du début à la fin, dignes, unis. Le 21 juillet, le jugement tombe. Le tribunal reconnaît la gravité exceptionnelle des faits, et qualifie clairement ce qui s’est joué là : une opération de traite d’êtres humains commise à l’encontre de personnes vulnérables. La principale prévenue, dirigeante de la société Anavim, est condamnée à quatre ans de prison, dont deux ferme, et à une amende de 20 000 euros. Elle sera incarcérée dès le 4 août. Deux complices, chargés du recrutement, écopent respectivement de trois ans dont un ferme et de deux ans dont un ferme, assortis d’amendes de 5 000 euros et 3 000 euros. Ils sont aussi interdits de séjour dans la Marne et de port d’arme pendant cinq ans. La société Anavim, dissoute par décision de justice, disparaît avec ses pratiques.
Le cœur du système reste hors de cause
Mais derrière cette façade pénale, le cœur du problème reste entier. Les vendanges de la honte ont eu lieu parce qu’un système les permettait. Et ce système, lui, n’a pas été condamné. Car si les exécutants tombent, les donneurs d’ordre restent impunis. La coopérative Sarl Cerseuillat de la Gravelle, qui a employé cette main-d’œuvre par l’intermédiaire d’Anavim, écope d’une simple amende de 75 000 euros, bien loin des 200 000 euros requis par le parquet. Pour la CGT Champagne, ce montant est ridiculement bas au regard du préjudice humain et du chiffre d’affaires du secteur.
Un signal judiciaire insuffisant
José Blanco, secrétaire général de l’Intersyndicat CGT du Champagne, ne cache pas sa déception. Le signal envoyé est certes plus fort que ce à quoi on est habitué dans le monde agricole, mais est-ce que cela suffira à faire bouger une filière qui, depuis des années, sous-traite, ferme les yeux et encaisse ? Rien n’est moins sûr.
Des indemnisations partielles et des salaires impayés
Les prévenus sont également condamnés à verser 4 000 euros à chaque plaignant, soit plus de 228 000 euros d’indemnisation, ainsi que 2 000 euros à six associations constituées parties civiles, dont la CGT et la Ligue des droits de l’Homme, soit plus de 12 000 € au titres de divers préjudices. Le Comité Champagne reçoit 6 000 euros pour atteinte à l’image de l’appellation. Des montants qui, s’ils peuvent paraître importants, restent bien en deçà de la réparation réelle.
Surtout, les salaires promis n’ont toujours pas été versés. Me Maxime Cessieux, avocat des 57 travailleurs, annonce la suite : le combat continue devant les prud’hommes. « On a obtenu la reconnaissance, maintenant on réclame les salaires », dit-il. La justice pénale a posé un cadre. La justice sociale, elle, est encore à arracher le paiement des salaires des saisonniers floués.
Une étape dans la lutte, mais pas un aboutissement
Ce procès aura marqué une étape. Il aura mis un nom sur ce que nous dénonçons depuis des années : la traite d’êtres humains existe, ici, en Champagne. Elle porte des visages, elle laisse des traces, elle pénètre les vins mis en bouteilles. Il aura aussi montré que, face à la violence sociale, l’organisation collective peut faire front. Soutenu par la CGT et les associations des droits de l’homme, les 57 vendangeurs ont tenu bon. Ensemble. Ils ont osé parler, témoigner, exiger justice. Et aujourd’hui, ils se tiennent debout.
Mais ce procès aura aussi révélé les limites d’une justice qui frappe, mais pas toujours où il faut. Les maisons de Champagne ne sont pas inquiétées. Les raisins récoltés dans ces conditions n’ont pas été déclassés. Aucune interdiction d’exploitation, aucun retrait de l’appellation, aucune responsabilité remontée tout au long de leur chaîne de valeur.
La CGT Champagne poursuivra le combat
Non, ce n’est pas encore la fin de l’histoire. Tant que les grandes marques continueront à engranger des profits sur le dos de travailleurs invisibilisés, la CGT Champagne restera debout. Tant que la justice refusera de rechercher et de sanctionner la responsabilité des grandes maisons dans les atteintes aux droits humains, à chaque étape de la chaîne de valeur concernant leurs achats de raisins auprès des vignerons, rien ne changera en profondeur. Nous poursuivrons sans relâche le travail de vérité. Et tant qu’une seule bouteille sortira d’une cave entachée par la traite humaine, l’omerta complice ou la mort, nous rappellerons que le champagne ne vaut pas plus que les conditions dans lesquelles il est produit.
Car notre combat s’enracine dans des valeurs simples et inébranlables : la dignité des travailleurs, la justice sociale, l’égalité réelle entre tous, la défense de l’humain face à la logique du profit, mais aussi dans la défense et dans notre attachement à notre prestigieuse AOC » Champagne « . C’est au nom de ces principes que l’Intersyndicat CGT du Champagne continuera d’agir, de dénoncer, de dialoguer, de construire, pour que demain, plus aucune vendange ne soit une honte. Si les bulles ne sont pas que champenoises, le Champagne est unique. Et pour que son histoire, son terroir continue d’envoûter les palais des amateurs du monde entier, il ne faut que plus qu’aucune trace d’exploitation de misère humaine ne subsiste dans les bulles du vin des rois et roi des vins.
C’est également à ce prix que tous les acteurs de la filière redonnerons toutes ses lettres de noblesse à ce fabuleux adage : « Il n’est champagne que de la Champagne ».
Sources :
- RFI, « France : trois peines de prison ferme pour traite d’êtres humains dans les vendanges en Champagne », 21 juillet 2025
- L’Union, « De la prison ferme au procès des vendanges de la honte », 22 juillet 2025
- CGT Champagne, communiqués et prise de parole publique : https://www.cgtchampagnereims.fr/