Des élus du personnel rassemblés autour d’un CSE, garants d’un dialogue social vivant et ancré dans les réalités du travail. © IA CGT champagne

✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne

📅 Publié le 03 novembre 2025

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Imposée par Macron en 2017, la limite de trois mandats successifs au CSE a fait des ravages dans la représentation du personnel. Sa suppression, obtenue sous la pression syndicale, consacre une victoire de terrain et remet en cause l’une des réformes les plus hostiles au dialogue social.

Une avancée majeure face à l’héritage des ordonnances Macron

La loi supprimant la limitation à trois mandats successifs pour les élus du comité social et économique (CSE) vient d’être publiée. C’est une avancée majeure pour la représentation des salariés, après des années d’entraves imposées par les ordonnances Macron de 2017.

Cette réforme, issue du projet de loi sur l’emploi des salariés expérimentés et l’évolution du dialogue social, répond enfin à une revendication constante des organisations syndicales, dont la CGT.

Depuis 2017, la règle interdisant à un élu d’exercer plus de trois mandats consécutifs avait plongé de nombreuses entreprises dans la difficulté. Faute de candidats, nombre de CSE peinaient à renouveler leurs équipes, quand d’autres perdaient des élus aguerris et expérimentés, contraints de laisser la place alors qu’ils disposaient d’une connaissance fine des dossiers et des rapports de force internes. Cette mesure, censée « moderniser » le dialogue social, a en réalité contribué à le fragiliser durablement.

Une réforme qui redonne du souffle aux élus

La suppression de cette limitation était une demande explicite de l’accord national interprofessionnel (ANI) signé en novembre 2024, que le gouvernement a finalement transposé dans la loi adoptée le 15 octobre 2025. Les partenaires sociaux y affirmaient la nécessité de « préserver l’expérience et les compétences acquises, dans un objectif d’amélioration de la qualité du dialogue social ».

Selon le baromètre Syndex–Ifop publié en janvier 2025, 90 % des représentants du personnel déclaraient rencontrer des difficultés à recruter de nouveaux candidats au sein des CSE. Cette pénurie inquiétante mettait en danger la continuité même de la représentation du personnel. En supprimant la limite des trois mandats successifs, le législateur a donc reconnu la réalité du terrain : sans stabilité, sans transmission, le dialogue social se vide de sa substance.

Cette évolution législative marque une victoire du bon sens et de l’action syndicale. Elle permettra à des militants expérimentés de poursuivre leur engagement sans être écartés artificiellement, tout en garantissant un accompagnement solide aux nouveaux élus. Pour la CGT, c’est aussi une reconnaissance implicite du rôle essentiel joué par les représentants du personnel dans la défense des droits collectifs.

Les dégâts durables des ordonnances Macron

Mais cette avancée ne doit pas masquer le bilan catastrophique des ordonnances Macron, qui ont profondément affaibli la représentation des salariés. En fusionnant les anciennes instances (CE, CHSCT, DP) dans le CSE, la réforme de 2017 a centralisé le dialogue social et éloigné les représentants des réalités du terrain.

Selon une étude de la Dares publiée en 2025, la couverture des entreprises par une instance représentative a nettement reculé depuis 2017. Les établissements dotés d’un CSE sont passés de 64 % à 61 %, et ceux disposant d’au moins un délégué syndical de 37 % à 32 %. Dans les entreprises multisites, les effets de la centralisation sont particulièrement marqués : là où chaque établissement possédait auparavant son comité d’entreprise, il n’existe souvent plus qu’un CSE unique au siège, privant les salariés de proximité de toute voix directe.

La même étude montre que la disparition des délégués du personnel et la réduction des moyens accordés aux élus ont entraîné un véritable découragement. Dans plus de la moitié des établissements sans instance élue, aucune candidature n’a été déposée lors des élections professionnelles. La Dares pointe notamment la forte technicisation du rôle et la diminution des moyens, deux phénomènes qui dissuadent de plus en plus de salariés de s’engager.

Cette technicisation croissante du mandat transforme profondément la fonction représentative. Les élus doivent désormais maîtriser des domaines de plus en plus vastes et complexes : compréhension des bilans comptables, analyse des plans de prévention et d’évaluation des risques, lecture des documents stratégiques remis par la direction, suivi des restructurations ou des plans de sauvegarde de l’emploi.

À cela s’ajoutent les compétences héritées des anciennes instances — comité d’entreprise, CHSCT, délégués du personnel — qui ont été fusionnées dans le CSE. Un élu doit aujourd’hui être à la fois expert en conditions de travail, en santé et sécurité, en économie d’entreprise, en droit social et en négociation syndicale. Or, cette exigence accrue ne s’accompagne pas des moyens nécessaires. Les heures de délégation ont diminué, les formations sont souvent réduites au strict minimum, et la charge administrative ne cesse d’augmenter. Beaucoup de représentants témoignent d’un épuisement lié à la complexité du rôle et à la pression constante exercée par les directions. Quant aux nouveaux élus, ils peinent à trouver leur place, faute de transmission et de temps pour se former.

Le résultat est sans appel : un sentiment d’isolement, de découragement et parfois d’impuissance. Le rôle de représentant du personnel, autrefois perçu comme un levier collectif de transformation, tend à se réduire à une fonction technique, enfermée dans des procédures et un vocabulaire juridique que peu de salariés maîtrisent. Cette dérive, soulignée par la Dares, illustre les effets pervers des ordonnances Macron : un dialogue social vidé de sa substance, où la complexité remplace la proximité et où les élus doivent compenser, seuls, la disparition d’équipes et de structures autrefois solidement organisées.

Une représentation affaiblie mais toujours combative

Malgré cet affaiblissement, la mobilisation syndicale continue d’exister. La France compte aujourd’hui près de 600 000 représentants du personnel, selon les chiffres du ministère du Travail. Ils représentent environ 6 % des salariés des entreprises de plus de dix personnes. Si leur nombre a légèrement baissé depuis la réforme de 2017, leur profil témoigne d’un engagement solide : plus de la moitié d’entre eux travaillent dans leur entreprise depuis plus de douze ans, preuve d’une fidélité et d’une stabilité précieuses pour la défense des collectifs de travail.

L’étude du ministère souligne également un fait encourageant : la parité progresse. Pour la première fois, en 2023, les femmes représentaient 42 % des représentants du personnel et 44 % des élus au CSE. Ce progrès symbolique montre que la représentation du personnel reste un lieu d’engagement et d’émancipation, malgré les obstacles.

Pour la CGT, ces chiffres traduisent à la fois la force de la solidarité syndicale et la fragilité du cadre institutionnel actuel. Les ordonnances Macron ont réduit les espaces de contre-pouvoir dans l’entreprise, en supprimant des instances, en limitant les mandats et en restreignant les moyens. C’est tout l’équilibre du dialogue social qui s’en est trouvé déstabilisé.

Reconstruire un véritable pouvoir de représentation

La fin de la limitation à trois mandats ne saurait donc suffire : elle doit être le point de départ d’une refondation du dialogue social. La CGT appelle à un retour des droits collectifs et à une révision profonde des ordonnances de 2017, afin de redonner aux représentants du personnel les moyens d’agir.

Renforcer la présence syndicale, rétablir des instances de proximité, garantir des temps de formation et des moyens suffisants : voilà les conditions indispensables pour que le CSE retrouve sa raison d’être. Le dialogue social ne peut pas se résumer à des réunions formelles faisant bien souvent figure de chambres d’enregistrement. Il doit redevenir un véritable espace de défense, de solidarité et de transformation sociale

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