Rèda Najib, un vendangeur rémois de 19 ans, est mort le 8 septembre après un malaise, suivi de la chute de son engin agricole, survenu à 17 h 30 sur une parcelle de Rilly-la-Montagne. Il faisait 31°C à Reims ce jour-là – Stéphanie Jayet l’Union © MAXPP – James Hardy

Dans cet article paru dans l’Union numérique, le 10 mai 2024 à 19 h 22, Thomas Crouzet et Martin Fort révèlent qu’en Champagne, la mort en 2023 d’un vendangeur de 19 ans a bien été causée par la chaleur.

Rèda Najib était le plus jeune des 4 saisonniers décédés lors des vendanges 2023. Étonnamment, les trois autres dossiers n’ont pas fait l’objet d’enquête aussi approfondie et ont été classés peu de temps après la constatation des décès, pour cause de malaise cardiaque.

Plus étonnant encore, les journalistes relatent que « le décès de la vendangeuse de Vert-Toulon, n’a pas été remonté comme accident du travail, car il est survenu au domicile de cette dernière ».

Les suites données à ces faits tragiques par le parquet viendraient-ils s’ajouter à l’Omerta de l’Interprofession envers les donneurs d’ordre qui ont employé impunément des prestataires peu scrupuleux, voire mafieux, entachant la vendange de scandaleuses affaires relevant de la traite d’êtres humains, dans le but de sauvegarder l’image d’une filière élaborant un produit de luxe ?

C’est la question légitime qu’est en droit de se poser l’Intersyndicat CGT du champagne.

C’est bien la chaleur qui a causé la mort d’un vendangeur de 19 ans

THOMAS CROUZET ET MARTIN FORT

Au cours de l’été 2023, onze salariés sont décédés en France sur leur lieu de travail à cause de la chaleur. Le plus jeune d’entre eux, Rèda Najib, un Rémois de 19 ans, faisait les vendanges en Champagne. Des mesures sont attendues de la part de l’État et de la filière champagne.

En juin 2023, une femme de 56 ans décède après avoir creusé manuellement une tranchée en plein soleil dans le Rhône. En juillet, un Drômois de 52 ans s’effondre dans sa base logistique. En septembre, un conducteur de poids lourds de 27 ans est retrouvé inanimé à côté de son camion alors qu’il terminait un déchargement dans l’Indre – et que des températures supérieures à 35°C étaient relevées dans le département. Pendant l’été 2023, ce sont onze salariés qui sont décédés en France sur leur lieu de travail à cause de la chaleur, selon la Direction générale du travail (DGT) qui tient le décompte. L’union a pu le consulter : il s’agit de dix hommes et une femme, âgés de 19 à 70 ans, logisticiens, ouvrier, coffreur-bancheur et installateur de cuisine, notamment.
 
Le plus jeune d’entre eux, Rèda Najib, un vendangeur rémois de 19 ans, est mort le 8 septembre après un malaise, suivi de la chute de son engin agricole, survenu à 17 h 30 sur une parcelle de Rilly-la-Montagne. Après avoir été conduit à l’hôpital de Reims, le décès de Rèda Najib était confirmé à 20 heures. La DGT, qui s’appuie sur les constatations réalisées par les inspecteurs du travail, précise : « malaise cardiaque suivi de la chute d’un engin viticole ; la chute n’est pas la cause du décès ».

Jusque-là, le rôle de la chaleur dans les quatre décès de vendangeurs survenus en Champagne en septembre restait de l’ordre de l’hypothèse. Mais les documents de la DGT prouvent que les fortes chaleurs mesurées (31°C relevés le 8 septembre à Reims) à ce moment-là ont bien été la cause du décès d’au moins un d’entre eux. Les trois autres dossiers n’ont pas fait l’objet d’enquête aussi approfondie et ont été classés peu de temps après la constatation des décès, pour cause de malaise cardiaque. L’un d’entre eux, celui d’une vendangeuse de Vert-Toulon, n’a pas été remonté comme accident du travail, car survenu au domicile de cette dernière.

“À l’heure où le dérèglement climatique est une réalité, la chaleur constitue un facteur de risque de plus en plus important que nous devons prendre en compte”

Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités

Face à la reconnaissance du rôle de la chaleur dans le décès de Rèda Najib, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, la Rémoise Catherine Vautrin, acquiesce : « À l’heure où le dérèglement climatique est une réalité que plus personne ne conteste, la chaleur constitue un facteur de risque de plus en plus important que nous devons prendre en compte. C’est particulièrement le cas pour les travailleurs agricoles et pour les vendangeurs en Champagne. Le drame que vous évoquez est absolument terrible et je veux d’abord avoir une pensée pour la famille de ce jeune vendangeur. »

Devant la nécessité de faire évoluer les conditions de travail et afin de préparer au mieux la prochaine vendange, une rencontre avec les représentants de la filière champagne s’est tenue le 24 avril dernier, au ministère du Travail. « L’interprofession champenoise présentera un plan d’action courant juin, qui intégrera la question des horaires de travail et la possibilité de commencer à 6 heures du matin en cas de canicule, de permettre un meilleur accès des secours en cas de drame… énumère la ministre. Gouvernement et professionnels travaillent de concert afin que plus personne ne perde la vie pendant les récoltes. »

Plus largement, Catherine Vautrin annonce faire de la lutte contre les accidents du travail « une priorité de [son] action gouvernementale ». « En France, deux personnes meurent chaque jour au travail. Ce chiffre est inacceptable. Je présenterai donc avec le Premier ministre, dans quelques jours, un plan d’action permettant de mieux prévenir les risques et faire ainsi durablement baisser le nombre d’accidents du travail. »

“Nous souhaitons voir des mesures plus contraignantes déployées, et non de simples recommandations”

Philippe Cothenet, CGT Champagne

Côté champenois, quatre chantiers de travail sont menés depuis la vendange 2023 par le Comité Champagne et les organisations syndicales, sous l’égide du préfet de la Marne, pour améliorer les conditions des saisonniers. Un volet est dédié à la prévention des risques en cas de fortes chaleurs, avec, par exemple, la diffusion d’un guide portant sur la santé des travailleurs, ainsi que la création d’un module de formation aux premiers secours et aux gestes qui sauvent.

Des mesures insuffisantes pour les représentants de la CGT Champagne, qui regrettent qu’une partie de leurs propositions n’ait pas été retenue. « Nous demandons l’arrêt de la vendange à la tâche en Champagne», souligne Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de l’intersyndicat CGT Champagne. «Lorsque les saisonniers sont payés au prorata de la quantité de raisins coupés, ils se mettent dans le rouge, ne prennent pas de pause, oublient de s’hydrater. Ce système n’est plus adapté au vu des chaleurs rencontrées. »

« Mesures plus contraignantes »

Le représentant syndical plaide également pour que soit rendu obligatoire le déploiement d’équipements pour se prémunir de la chaleur comme des tonnelles, des serviettes rafraîchissantes, de l’eau réfrigérée… « Un certain nombre de grandes maisons ont déjà intégré ce fonctionnement dès que les températures dépassent les 28°C, affirme Philippe Cothenet. Mais c’est loin d’être le cas partout. Nous souhaitons voir des mesures plus contraignantes déployées, et non de simples recommandations. »

Des mesures qui devraient également être, selon le secrétaire général adjoint, généralisées aux autres travaux en vert de la vigne, à commencer par le palissage, qui débutera en juin. Si les équipes de saisonniers embauchés ont pris l’habitude de travailler en horaires décalés aux premières chaleurs, chaque année, un à deux décès sont recensés par les services de la sécurité sociale agricole (MSA) en Champagne pendant cette période.

Philippe Cothenet espère que l’interprofession saura faire le nécessaire pour sécuriser la totalité des chantiers viticoles. « Il en va de l’image de toute la Champagne et de la santé de ses travailleurs », conclut-il.

Que dit le Code du travail concernant la chaleur ?

L’employeur doit mettre de l’eau fraîche et potable à proximité des postes de travail. Canicule ou pas. Mais sinon, le Code du travail ne prévoit rien spécifiquement concernant la chaleur. L’employeur a seulement une obligation générale de sécurité et doit prendre les mesures qu’il juge nécessaires pour protéger ses salariés. Elles doivent être consignées dans un document unique d’évaluation des risques (DUER), qui doit être mis à jour une fois par an. Le Code du travail dit aussi que les salariés ont l’obligation de prendre soin les uns des autres. Ils doivent intervenir s’ils voient un collègue en difficulté.

Le salarié a-t-il le droit de cesser le travail s’il fait trop chaud ?

S’il estime qu’un danger grave et imminent menace sa santé, le salarié peut exercer son droit de retrait. S’il est jugé légitime, il ne peut être sanctionné pour avoir cessé le travail.

Certains députés proposent de créer une température maximale de travail. Qu’en pensez-vous ?

Je suis dubitative. Déjà parce que la mesure de la chaleur dépend de la température mais aussi de la force du vent et d’autres critères (humidité par exemple, ndlr). Et il existe aussi déjà des préconisations formulées par l’nstitut national de recherche et de sécurité (INRS, voir par ailleurs) concernant les risques liés à la chaleur. Il est possible de travailler sous forte chaleur mais il faut prendre des précautions : décaler son temps de travail, se désaltérer régulièrement, avoir à disposition un local climatisé…

Un risque pour la santé du travailleur au-delà de 28 ºC

Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), qui fait référence sur le sujet, la chaleur peut constituer un risque pour la santé des salariés « au-delà de 30 ºC pour une activité sédentaire, et 28 ºC pour un travail nécessitant une activité physique ». Elle augmente les temps de réaction et fait baisser la vigilance : les risques d’accident du travail sont donc plus élevés lors d’une période de canicule, par exemple. Et quand les mécanismes censés réguler la température corporelle sont finalement débordés, le travailleur peut être touché par un coup de chaleur : c’est rare mais grave puisqu’il est mortel dans 15 à 25 % des cas. La chaleur « peut également agir comme révélateur ou facteur aggravant de pathologies préexistantes, essentiellement cardiorespiratoire, rénale, endocrinienne (diabète…) », conclut l’INRS.

Depuis 2022, la Confédération européenne des syndicats (CES) plaide pour l’instauration d’une température maximale de travail, différente en fonction des pays. En France, cette proposition a été reprise et amendée par les groupes de gauche à l’Assemblée nationale. En juillet dernier, EELV proposait d’introduire la possibilité pour les travailleurs de se retirer dès les 33°C franchis. La proposition est proche de ce qui existe déjà (voir par ailleurs). Les Insoumis souhaiteraient, eux, interdire le travail en cas de vigilance rouge canicule et le limiter à 6 heures par jour en cas de vigilance orange. Leur proposition de loi, déposée l’été dernier, voudrait aussi mettre en place « des temps de pause réguliers sans perte de salaire lorsque la température dépasse un certain seuil sur un lieu de travail intérieur ou extérieur ». Le PCF a également pointé du doigt les conditions de travail des saisonniers dans une proposition de loi déposée en janvier. Les communistes souhaiteraient imposer une visite médicale aux travailleurs et un meilleur contrôle des dérogations qui permettent de les mettre à l’œuvre 60 heures par semaine.