Bruno Le Maire lors de la présentation de son projet de simplification, le 24 avril 2024, à Bercy. PHOTO : Odile DUPERRY / AFP

Dans cet article publié, le 15 mai 2024, dans le journal numérique du Magazine « Alternatives Economiques », Sandrine Foulon, explique que la volonté de Bruno Le Maire de réduire drastiquement le nombre de lignes sur le bulletin de paie.

Elle explique également qu’à défaut d’une réflexion sur la complexité du système social et fiscal, l’allègement s’annonce cosmétique, c’est-à-dire « superficiel », et , en tout état de cause, modifiera rien en profondeur.

Bruno Le Maire entend réduire drastiquement le nombre de lignes sur le bulletin de paie. Mais à défaut d’une réflexion sur la complexité du système social et fiscal, l’allègement s’annonce cosmétique.

Bruno Le Maire lors de la présentation de son projet de simplification, le 24 avril 2024, à Bercy. PHOTO : Odile DUPERRY / AFP

Plus lisible pour les salariés et plus digeste pour les entreprises, voilà le sort que le ministre de l’Economie entend réserver à la future feuille de paie. Parmi les 26 mesures du projet de loi de simplification – l’acte 2 de la loi Pacte – qui sera examiné en première lecture par les sénateurs le 3 juin, figure ainsi en bonne place l’allégement du bulletin de paie. Il devrait passer d’une cinquantaine de lignes à une quinzaine maximum.

Ses contours doivent encore faire l’objet de discussions avec les partenaires sociaux et rien n’est définitivement arrêté, mais Bruno Le Maire a pris soin de produire, le 24 avril dernier, un exemple avant/après de ce que pourrait être cette nouvelle feuille de paie.

Source : Ministère de l’Economie et des finances

Exit les colonnes mentionnant les références base et taux auxquelles les salariés jetaient un œil perplexe, la nouvelle mouture tient sur une demi-feuille A4 et se divise en trois grandes parties.

« Le haut et le bas de la feuille de paie ne changent pas véritablement, résume Emmanuel Prévost, directeur de la veille juridique chez ADP, groupe spécialisé dans la gestion de la paie et des RH. Les éléments de la rémunération brute – le salaire, les heures supplémentaires, les primes – demeurent. C’est également le cas du montant net à payer et de tous les éléments de remboursements et déductions comme les tickets-restaurants, les chèques vacances, l’indemnité vélo ou télétravail. En revanche, c’est le milieu qui évolue avec un agrégat de toutes les cotisations salariales versées aux différents organismes sociaux. »

Le salarié va-t-il s’y retrouver ?

Ce n’est pourtant pas la première fois qu’un effort de simplification est fourni. Depuis 2018, les entreprises sont déjà tenues de produire un bulletin de paie clarifié. Pour gagner en lisibilité, ces cotisations sont répertoriées sous des têtes de chapitre bien identifiées : santé, accidents du travail, retraite, famille, assurance chômage… Elles seront donc à l’avenir regroupées sur une seule ligne.

De quoi provoquer le scepticisme, voire la franche hostilité des organisations syndicales qui voyaient là une manière de bien comprendre le système social et la couverture des risques, chacun pouvant, s’il le souhaite, vérifier quelle part du salaire est versée à telle branche de la Sécurité sociale.

Et si le projet ne change pas une virgule au montant net perçu par les salariés, la présentation de la nouvelle feuille de paie n’est pas anodine.

Alors que la ligne « exonérations et allégements de cotisations » disparaît, à la fois pour les salariés mais aussi et surtout pour la partie entreprise, Bercy a choisi de faire apparaître en tout premier lieu le « coût total employeur ». Ou comment braquer le projecteur sur ce que coûte un salarié. Peu importe que toutes les cotisations (salariées comme employeur) soient en réalité du salaire différé.

« Si l’objectif affiché du gouvernement est de rendre la fiche de paie plus lisible et plus compréhensible, cette réforme aura surtout pour effet d’opacifier le contenu du salaire différé », s’emportait ainsi FO dans un communiqué, sitôt les annonces du locataire de Bercy connues.

Autre motif d’inquiétude, les salariés vont-ils pouvoir s’y retrouver avec des informations aussi succinctes ?

« Il faut tout de même préciser qu’aujourd’hui un salarié n’est pas en mesure de recalculer le montant de son salaire, » tempère Emmanuel Prévost.

 « Tout se joue au niveau de la Déclaration sociale nominative (DSN) que les employeurs envoient chaque mois aux organismes sociaux et fiscaux et qui comprend près de 500 données par salarié. »

Issue de la « loi Warsmann » de simplification du droit et d’allégement des démarches administratives, la DSN oblige depuis 2017 les employeurs à ne faire qu’une seule déclaration mensuelle plutôt qu’auprès de plusieurs guichets sociaux et fiscaux différents.

Mais en cas de doute sur son bulletin, il faudra, comme actuellement, s’adresser au service des ressources humaines ou directement à l’employeur dans les plus petites entreprises : le texte en préparation prévoit qu’une feuille de paie détaillée puisse toujours être délivrée.

Et les salariés en quête d’éclaircissements peuvent dès à présent consulter le portail national des droits sociaux qui fournit un certain nombre de renseignements sur des prestations comme la prime d’activité, le RSA ou l’Allocation adulte handicapé (AAH) et leur incidence sur le salaire.

« Rendre des heures » aux employeurs ?

Mais au fond, le projet va-t-il déboucher sur cette « débureaucratisation » que le ministre de l’Economie appelle de ses vœux ?

« Ce n’est pas le grand soir de la feuille de paie. Il s’agit d’une simplification de l’affichage, pas d’une révision des règles sociales et fiscales qui génèrent cette complexité. L’an dernier par exemple, une nouvelle ligne – le montant net social – est venue s’ajouter sur le bulletin. C’est une étape qui accompagne le projet du versement des prestations à la source, mais elle est à la charge de l’employeur. On simplifie d’un côté mais on ajoute une contrainte de l’autre », constate le responsable d’ADP.

Certes, les différents calculs de taux de CSG peuvent donner la migraine. Le fait que les règles fiscales et sociales ne soient pas harmonisées est également source d’une infinie complexité : les régimes fiscal et social des exonérations des heures supplémentaires n’obéissent pas au même calendrier (l’une peut être effective en août pour la désocialisation et l’autre en décembre pour la défiscalisation). Mais la feuille de paie est surtout le reflet du système social et fiscal qui multiplie les exemptions, dérogations, allégements, le plus souvent au bénéfice des entreprises.

Faut-il par ailleurs créer des guichets uniques qui simplifieraient davantage les procédures ? Le rapport d’Alexandre Gardette remis en 2019 au gouvernement devait préfigurer le projet « France recouvrement » afin d’unifier les prélèvements sociaux et fiscaux. Il n’a pas abouti.

« D’ici une dizaine d’années, il est probable que nous ayons deux grands acteurs du recouvrement, les Urssaf et la Direction générale des finances publiques. Nous en prenons le chemin et cela devrait contribuer à simplifier les démarches pour les employeurs », estime Emmanuel Prévost.

En attendant, pour reprendre l’intitulé du rapport qui a inspiré le projet de loi porté par Bruno Le Maire, la réforme de la feuille de paie, attendue pour 2027, ne devrait pas « rendre des heures aux Français », ni même quelques minutes, aux employeurs.

D’autant que cela fait belle lurette que les entreprises ne font plus les bulletins à la main. Elles en confient le soin aux prestataires qui fournissent services et logiciels comme ADP, Payfit ou Eurécia, voire à leur expert-comptable. ADP, premier acteur du marché, en édite ainsi trois millions par mois et affiche une croissance continue.

Selon une étude Xerfi publiée en septembre 2023, un tiers des entreprises externalisent la gestion de la paie. Et malgré quelques turbulences liées à la conjoncture, le marché reste très porteur. Il représenterait, toujours selon cette enquête, entre 1,2 et 2 milliards d’euros. La complexité sociale et fiscale hexagonale a au moins le mérite de faire quelques heureux.