Le sacre du mousseux anglais Nyetimber sonne comme un avertissement : partout dans le monde, les effervescents gagnent en qualité, tandis que la Champagne s’affaiblit sous le poids de l’industrialisation et de la sous-traitance. © France Infos

✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne

📅 Publié le 08 octobre 2025

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Le champagne n’est plus indétrônable. Un mousseux anglais a remporté le titre de meilleur vin effervescent du monde, signe d’un malaise profond dans la filière. Derrière la stagnation des ventes, la Champagne paie des choix dictés par la recherche d’économies de coûts : vignes semi-larges, cépages introduits sans recul, externalisation des savoir-faire. L’obsession de rentabilité immédiate se fait au détriment du terroir, de la qualité et des emplois.

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Un signal venu du Sussex

Le 10 octobre, le domaine Nyetimber, dans le Sussex, a été sacré meilleur vin effervescent du monde par l’International Wine Challenge. Une première historique qui montre que le champagne n’est plus à l’abri de la concurrence.  Pendant que l’Angleterre progresse rapidement, avec des cuvées longues à maturer et reconnues jusque sur la table du roi Charles III, la Champagne stagne à 270 millions de bouteilles et risque de passer bientôt sous ce seuil symbolique.

La fuite en avant industrielle

Depuis plusieurs années, les instances dirigeantes de la filière multiplient les choix dictés par la recherche de baisse des coûts. La mise en place de la vigne semi-large en est l’exemple le plus parlant : elle facilite la mécanisation mais tourne le dos aux rangs serrés, qui garantissaient une viticulture exigeante, respectueuse et l’image du terroir. L’abandon de ce modèle contribue à une viticulture standardisée, où la rapidité et l’économie priment sur l’exigence, le savoir-faire et la tradition. L’enherbement généralisé, souvent mal maîtrisé, accentuent encore la perte de rendement et la qualité des raisins. À cela s’ajoute l’introduction de nouveaux cépages comme le Vitis (Voltis) ou, très récemment, le chardonnay rose, validés sans véritable recul sur leurs conséquences organoleptiques.

Plus inquiétant encore, une recherche technologique très discrète, presque cachée, vise à mettre au point l’utilisation de la machine à vendanger en Champagne. Présentée comme un outil moderne et économique, elle mettrait en cause l’intégrité des raisins et la sélection rigoureuse des grappes, piliers et ADN de la qualité champenoise.

Pour la CGT du Champagne, les raisins, base de l’élaboration de ce produit de luxe, doivent continuer d’être cueillis à la main malgré toutes les contraintes que cela peut poser pour les vendanges. Ces décisions, imposées à marche forcée sans concertation avec les organisations syndicales et notamment avec la CGT Champagne, illustrent un pilotage autoritaire. Depuis les années 1990, notre organisation réclame la création d’un observatoire des métiers pour mesurer l’impact de ces choix sur l’emploi et la formation. Mais cette revendication est restée lettre morte.

Externalisation et sous-traitance

Parallèlement, le recours aux sociétés de prestation se développe dans le vignoble. Pour réduire les coûts, une part croissante des travaux est confiée à du personnel non formé, employé à bas prix, au détriment du savoir-faire transmis par les salariés en CDI. Cette logique fragilise à la fois la qualité du produit et l’avenir des métiers.

La même tendance se retrouve dans les caves et les unités de production. De plus en plus de maisons externalisent la mise en bouteille, l’habillage, le conditionnement ou encore la logistique, parfois hors de la Champagne (tentative de transvasage de bouteille à bouteille dans l’Ain). Cette fragmentation menace la cohérence qualitative des cuvées et participe à un contournement des conventions collectives jugées trop « généreuse » par certains dirigeants en matière de salaires et de primes. Dès lors, les hausses de salaires sont minorées et les recours aux contrats précaires hors convention sont démultipliés.

Un avertissement global

Le sacre du mousseux anglais Nyetimber n’est pas un accident isolé : il révèle la vulnérabilité du champagne. Pendant que la filière s’enferme dans une logique de réduction des coûts, tous les effervescents français et étrangers – crémants, cavas, proseccos, mousseux anglais ou allemands – investissent dans la qualité et deviennent de sérieux concurrents.

Le roi des vins n’a pas été détrôné par hasard. C’est le résultat d’années de choix industriels et politiques imposés sans concertation et sans vision de long terme.

Si la Champagne veut garder son rang, elle doit rompre avec cette fuite en avant et revenir à l’exigence, au respect du terroir et à la valorisation du savoir-faire qui ont fait sa notoriété mondiale.

Pour autant, certains anti-syndicalistes primaires, en quête d’un bouc émissaire, diront sans doute que si le Champagne a été détrôné par un vin mousseux anglais, c’est parce que la CGT salit la Champagne !

La vidéo du reportage :