Frédéric Dufour, nommé le 25 octobre 2025 à la tête de l’ensemble des maisons de Champagne du groupe LVMH. Son management a été mis en lumière par Cash Investigation, notamment à travers une séquence filmée chez Ruinart où des collaboratrices étaient publiquement présentées comme « enceintes » ou « pas enceintes » © Cash Investigation / CGT Champagne
✍️Par l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 15 décembre 2025
⏱️Temps de lecture 6 minutes
Espionnage, infiltration, remaniement brutal des directions, promotions controversées, arrivée aux commandes de proches du clan Arnault, annonces massives de suppressions de postes : les bouleversements récents de la gouvernance de LVMH ne sont pas sans conséquences. Dans le Champagne, ces choix politiques se traduisent déjà par la suppression de la participation, zéro PPV, et une perte de rémunération pouvant atteindre 30 % pour les salariés de Moët & Chandon-Ruinart et Veuve Clicquot-Krug. Et ce qui est engagé aujourd’hui laisse présager une ardoise sociale encore bien plus lourde demain.
🎥 Un extrait de l’émission « Cash Investigation » Bernard Arnault, ombre et lumière d’un empire révélant des pratiques managériales scandaleuses chez LVMH est disponible en bas de cet article..
Un grand ménage managérial au sommet de Moët Hennessy
Les révélations de La Lettre ont mis en lumière un profond bouleversement de la direction de Moët Hennessy. La filiale vins et spiritueux de LVMH est engagée dans un vaste remaniement de ses ressources humaines, après plusieurs années marquées par une gestion contestée de dossiers sensibles liés au harcèlement et à la souffrance au travail
Ce mouvement s’inscrit dans une recomposition plus large de la gouvernance du groupe. La nomination de Jean-Jacques Guiony à la tête de la branche vins et spiritueux marque une reprise en main financière assumée. Longtemps directeur financier de LVMH, il incarne une ligne claire : recentrer la stratégie sur la restauration des marges et le pilotage strict des coûts. Dans le même temps, Alexandre Arnault, fils de Bernard Arnault, est nommé directeur général délégué de Moët Hennessy, plaçant la branche Champagne et spiritueux sous contrôle direct du sommet du groupe.
Suppressions de postes : un signal politique clair
Ce tournant de gouvernance se traduit rapidement par des décisions lourdes de sens. La veille du 1er mai 2025, la direction annonce un plan de suppressions de postes pouvant atteindre 1 200 du groupe LVMH. Une annonce symboliquement violente, vécue comme une provocation par les salariés, et qui marque une rupture nette dans la politique sociale du groupe.
Ce choix révèle une stratégie assumée : face aux difficultés conjoncturelles, ce sont les effectifs, les rémunérations et les acquis sociaux qui deviennent les principales variables d’ajustement, pendant que la gouvernance se verrouille autour d’un noyau dirigeant issu directement du sommet de LVMH.
Cash Investigation dévoile l’envers du décor
L’enquête de Cash Investigation est venue confirmer ce que de nombreux salariés dénoncent depuis des années : espionnage, infiltration, alertes ignorées, dossiers conservés pour écarter des cadres devenus gênants, omerta organisée pour préserver l’image du groupe, et mise à l’écart de celles et ceux qui osent parler.
L’émission revient notamment sur une séquence filmée en 2018 chez Ruinart, où Frédéric Dufour, alors président de la maison, présentait des collaboratrices en les qualifiant publiquement « d’enceintes » ou « pas enceintes ». Malgré les signalements internes et l’exposition médiatique nationale, ces pratiques n’ont pas freiné sa carrière.
Frédéric Dufour, un choix assumé pour le Champagne
Le 25 octobre 2025, Frédéric Dufour est nommé à la tête de l’ensemble des maisons de Champagne du groupe LVMH. Cette nomination intervient dans un contexte de révélations médiatiques, de tensions sociales fortes et de suppressions massives de postes. Pour les salariés du Champagne, ce choix incarne une continuité managériale assumée et envoie un signal clair : les orientations prises au sommet priment sur toute autre considération, y compris sociale.
Dans le Champagne, une restructuration qui dépasse la question des primes
Dans les maisons Moët & Chandon-Ruinart et Veuve Clicquot-Krug, les attaques contre la rémunération ne sont que la partie visible d’un mouvement de fond beaucoup plus large. Des projets sont aujourd’hui à l’étude visant à fusionner tout ou partie des vignobles de Moët et de Clicquot, avec pour conséquence directe une réorganisation profonde des activités viticoles.
Parallèlement, une réduction de l’approvisionnement en raisin est envisagée, pouvant aller jusqu’à 800 hectares sur plusieurs années. Ces orientations font peser de lourdes menaces sur l’emploi et sur l’équilibre économique de la filière.
À cela s’ajoute une politique déjà bien engagée de suppressions de postes par non-remplacement des départs en retraite, aussi bien dans les activités de production que dans les services supports. Les effectifs fondent silencieusement, sans plan social officiellement annoncé, mais avec des conséquences bien réelles sur les conditions de travail.
Dans les services administratifs et informatiques, la digitalisation accrue est présentée comme une modernisation nécessaire. En réalité, elle n’augure rien de bon en matière d’emplois. Automatisation des tâches, centralisation des fonctions, externalisations possibles : autant de signaux qui laissent présager de nouvelles réductions d’effectifs à moyen terme.
Une ardoise sociale qui s’annonce très salée
Suppression de la participation, zéro PPV, pertes de rémunération immédiates, projets de restructuration du vignoble, réduction des approvisionnements, suppressions d’emplois rampantes, digitalisation accélérée : mis bout à bout, tous les éléments sont là. L’ardoise sociale que la direction prépare pour les salariés du Champagne risque d’être extrêmement salée à terme, bien au-delà de l’année 2025.
Une mobilisation qui dépasse une maison
La grève et la réunion d’information syndicale CGT du 11 décembre 2025, réunissant plus de 600 salariés dans la cour d’honneur de Moët & Chandon à Épernay, ont marqué un tournant. Cette mobilisation inter-maisons montre que les salariés ont parfaitement compris que ce qui se joue ici dépasse largement un seul site ou une seule maison. Ce précédent est dangereux pour toute la filière Champagne. Lorsqu’un groupe leader impose de tels reculs sociaux, c’est l’ensemble du modèle social du Champagne qui est menacé.
Le Champagne ne sera pas la variable d’ajustement
La CGT Champagne le réaffirme : les salariés refusent de payer les conséquences de décisions prises au sommet de LVMH et d’autres maisons, sans concertation et au mépris de décennies d’acquis sociaux. Le Champagne ne se fera pas contre celles et ceux qui le produisent. Face à une gouvernance verrouillée et à des choix politiques assumés, la mobilisation restera le seul levier pour défendre la rémunération, l’emploi et l’avenir de toute la filière.
🎥 Extrait de Cash Investigation – « Itinéraire d’un milliardaire français »
Dans cet extrait de l’émission Cash Investigation, diffusée sur France Télévisions, des témoignages et des images internes mettent en lumière des pratiques managériales au sein de Moët Hennessy.
La séquence filmée chez Ruinart en 2018 montre notamment Frédéric Dufour présentant publiquement des collaboratrices comme « enceintes » ou « pas enceintes ». L’enquête donne également la parole à d’anciens responsables RH et à des salariées décrivant un climat de management toxique, des alertes ignorées et une omerta organisée pour préserver l’image du groupe, malgré des signalements répétés.
Télécharger l’article : LVMH : quand le Champagne paie les choix du sommet
Sources
– Moët Hennessy nettoie sa direction des ressources humaines, La Lettre, décembre 2025
– Cash Investigation – Itinéraire d’un milliardaire français, France Télévisions, décembre 2025
– MHCS en colère : la grève s’installe devant Moët & Chandon, Intersyndicat CGT du Champagne, 12 décembre 2025
