LVMH prévoit de réduire de 10 % les effectifs de sa filiale Moët Hennessy, ce qui représenterait entre 1 000 et 1 200 suppressions de postes à l’échelle mondiale. © Christian Lantenois
✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 05 mai 2025
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LVMH a annoncé la suppression de 10 % des effectifs de sa filiale Moët Hennessy, soit entre 1 000 et 1 200 postes dans le monde. Présentée comme une simple gestion du « turn-over naturel », cette décision, transmise par vidéo à la veille du 1er mai, suscite incompréhension, colère et inquiétude chez les salariés et les syndicats. Derrière les mots choisis avec soin, c’est une stratégie brutale qui se dessine, fondée sur des objectifs financiers et une logique de gestion boursière, au détriment de l’emploi. La CGT Champagne appelle à une vigilance maximale.
Champagne amer pour les salariés : derrière la chute des ventes, un plan social déguisé ?
Une baisse d’activité… et une logique purement financière
Moët Hennessy justifie cette réduction d’effectifs par un recul de ses performances économiques en 2024. Le chiffre d’affaires de la filiale, qui regroupe les grandes maisons de champagne et de spiritueux du groupe (Moët & Chandon, Hennessy, Veuve Clicquot, Dom Pérignon, Ruinart…), a chuté de 11 %, atteignant 5,9 milliards d’euros. Les bénéfices ont également reculé à 1,3 milliard d’euros, contre 2,1 milliards deux ans plus tôt.
Pour les dirigeants, ce repli justifierait un « retour aux effectifs de 2019 », soit une réduction de 10 % des postes actuels. Mais ce raisonnement ne tient pas face aux choix financiers opérés par la maison mère. LVMH a versé près de 7 milliards d’euros de dividendes aux actionnaires en 2024. Dans le même temps, les salariés sont appelés à faire les frais du ralentissement.
Aucun prélèvement n’est envisagé sur la fortune colossale de Bernard Arnault, ni sur les marges des autres divisions du groupe. C’est un choix assumé : préserver la rentabilité pour les marchés financiers, même si cela implique de supprimer des centaines d’emplois.
Une méthode de communication brutale
La manière dont cette annonce a été faite renforce le malaise. Le 30 avril, à 15h35, les salariés de Moët Hennessy reçoivent un courriel avec en pièce jointe une vidéo de 20 minutes. Ils y découvrent, sans avertissement ni échange préalable, que la direction compte supprimer 10 % des effectifs, en s’appuyant exclusivement sur le non-remplacement des départs et le gel des embauches.
Cette vidéo, enregistrée à l’avance, a été envoyée à la veille du 1er mai, jour de la fête du Travail. Un choix de calendrier particulièrement malvenu, alors que de nombreux salariés étaient en congé. Beaucoup ont appris la nouvelle en consultant la presse. Les syndicats dénoncent une stratégie de contournement du dialogue social délibérée.
Dans ce message, aucun détail n’est donné sur les postes concernés, ni sur les sites visés. Les mots choisis – « réajustement », « retour au niveau d’avant-Covid », « effort collectif » – dissimulent mal la réalité d’une politique de réduction drastique de la masse salariale. En Champagne, où Moët Hennessy emploie plus de 2 300 personnes, l’inquiétude est d’autant plus vive que le flou règne sur les conséquences concrètes de cette décision.
Une communication anxiogène, un mépris du terrain
Alexandre Rigaud, délégué CGT chez Moët & Chandon, dénonce une communication brutale et mal calibrée. Il souligne que l’annonce, transmise par vidéo, intervient sans information préalable ni discussion avec les représentants du personnel. Il déplore que les salariés aient été mis devant le fait accompli, et que beaucoup aient découvert l’information dans les médias. Il rappelle que, si la direction évoque une dynamique globale, la maison mère reste implantée en France, et que les salariés du terrain méritaient d’être traités avec plus de considération.
Il critique également le manque total de clarté sur les postes concernés, les services impactés, ou les sites visés. Pour lui, les termes employés – « non-remplacement », « turn-over naturel », « retour aux effectifs de 2019 » – relèvent d’un habillage de langage destiné à masquer une réduction structurelle des effectifs. Il estime que cette stratégie génère un climat d’incertitude et de tension particulièrement nocif. Il ajoute, avec une pointe d’ironie, qu’il faudrait croire que des salariés étaient jusque-là « payés à ne rien faire ». Une absurdité, selon lui, quand on connaît la technicité et l’engagement des métiers dans les maisons de champagne.
Depuis l’annonce, de nombreux salariés inquiets appellent Alexandre Rigaud au téléphone pour tenter d’en savoir plus. Mais face à l’absence d’informations concrètes fournies par la direction, il n’a pas de réponse à leur apporter. Il indique que les menaces internationales, comme la guerre commerciale lancée par Donald Trump ou les représailles annoncées par la Chine sur le Cognac, n’ont fait qu’accélérer une décision déjà prise en interne. Il insiste sur la nécessité, en premier lieu, de rencontrer la direction, puis d’informer clairement les salariés. Mais il n’écarte pas une réponse collective si l’opacité persiste : « Peut-être qu’on sera obligés d’aller sur Paris avec l’ensemble des maisons pour alerter et avoir des réponses », prévient-il.
De son côté, Philippe Cothenet, délégué syndical CGT chez Moët & Chandon et secrétaire général adjoint de l’Intersyndicat CGT du Champagne, estime que la direction reste dans une logique de court terme, déconnectée de la réalité économique du groupe. Il rappelle que malgré le recul des ventes, Moët Hennessy sort de trois années exceptionnelles et que l’entreprise continue à faire de l’argent. « Dès qu’il y a une année où cela va un peu moins bien, on parle directement de suppression de postes », proteste-t-il. Il juge les explications de la direction insuffisantes et appelle à plus de transparence et de responsabilité de la part du groupe LVMH.
Le souvenir des plans sociaux de 1993 et 1994 ravivé
En Champagne, cette annonce ravive un souvenir encore très présent : celui des plans sociaux envisagés en 1993 et 1994, qui avaient déjà suscité une vive inquiétude dans plusieurs maisons du secteur. À l’époque, des projets de suppressions de postes avaient concerné Moët & Chandon, Mercier, Veuve Clicquot, Ruinart, Pommery, Canard-Duchêne et Henriot.
Ces annonces avaient provoqué une mobilisation immédiate, en particulier menée par la CGT. Grâce à l’action syndicale et à une bataille juridique déterminée, plusieurs de ces projets avaient été annulés par la justice ou retirés sous la pression, sans qu’ils ne se traduisent par des licenciements massifs. Ces victoires, arrachées dans un contexte tendu, ont marqué les esprits et restent une référence dans l’histoire syndicale champenoise.
Trente ans plus tard, la logique semble vouloir refaire surface sous une forme plus diffuse. En refusant d’assumer un plan social ouvert, la direction de Moët Hennessy adopte une stratégie de réduction silencieuse des effectifs, par non-remplacement et gel des embauches. Cette méthode, juridiquement plus difficile à contester, n’en est pas moins lourde de conséquences pour les équipes.
Dans les maisons déjà confrontées à ces précédents, la méfiance est d’autant plus forte. Le souvenir des luttes menées et des projets stoppés reste vif. Pour les syndicats, il est clair que ce nouveau plan, bien que maquillé, appelle la même vigilance, la même détermination et, si nécessaire, la même riposte.
Les syndicats attendent des réponses
Dans ce contexte, les syndicats du groupe LVMH entendent faire entendre leur voix. Ils profiteront de la grande réunion organisée par la direction les 20 et 21 mai à Vendôme, sur le site Louis Vuitton, pour porter leurs inquiétudes et exiger des explications précises. Cette rencontre, bien que non dédiée à ce sujet, constituera une occasion de faire pression collectivement sur la direction du groupe.
La CGT Champagne, quant à elle, reste particulièrement attentive à l’évolution de la situation. En lien avec les représentants syndicaux des maisons de Champagne, elle continuera à suivre ce dossier avec la plus grande vigilance. Elle réaffirme que l’emploi ne peut être une variable d’ajustement dans un groupe aussi rentable que LVMH, et que toute restructuration appelle à la transparence, au dialogue et au respect des droits des travailleurs.
Sources de l’article :
- Moët Hennessy annonce diminuer sa masse salariale de plus de 10 % – La Lettre
- LVMH veut supprimer 10 % des effectifs de Moët Hennessy – L’Union
- Bernard Arnault annonce la suppression de 10 % des effectifs – L’Humanité
- Les salariés apprennent par vidéo la suppression de 1 200 postes – ICI Champagne-Ardenne
- Moët Hennessy prévoit une réduction de 10 % de ses effectifs mondiaux – S. Claeys
- « Aussi rapide que brutal » : inquiétudes chez Moët Hennessy après l’annonce de la suppression d’un millier de postes – Libération
📹 ▶️ Retrouvez la vidéo l’interview d’Alexandre Rigaud, délégué syndical Moët&Chandon par ICI Champagne-Ardenne.