Gabriel Zucman entouré de Joseph Stiglitz et Jayati Ghosh à l’Assemblée nationale : trois voix internationales pour défendre une fiscalité plus juste. © Photo Stéphane Lemouton / Sipa
✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 10 octobre 2025
⏱️Temps de lecture 7 minutes
À l’heure où les inégalités explosent et où les services publics manquent cruellement de moyens, la taxe proposée par l’économiste Gabriel Zucman s’impose comme une évidence. Ce n’est pas une utopie, encore moins une mesure punitive : c’est un choix de société, celui de mettre à contribution ceux qui bénéficient le plus de la mondialisation et qui échappent depuis trop longtemps à l’impôt.
Un projet porté par des économistes de renom
Le 1er octobre à l’Assemblée nationale, l’économiste Gabriel Zucman était accompagné de deux soutiens de poids : Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, et Jayati Ghosh, spécialiste reconnue des inégalités mondiales.
Tous deux, figures internationales multi-primées, sont venus rappeler que la proposition d’un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros n’a rien de radical ni d’extravagant.
Joseph Stiglitz a souligné qu’il s’agit d’une mesure « simple et prudente », rappelant que les fortunes des milliardaires progressent en moyenne de 6 à 10 % par an. Taxer 2 % de ce patrimoine colossal ne représente pas une spoliation, mais un minimum de justice fiscale. Jayati Ghosh a renchéri : « Même après cette taxe, les ultrariches resteront très riches. Ils ne vont pas devenir pauvres du jour au lendemain. »
Les fantasmes du camp du capital
Face à cette proposition, le patronat s’est lancé dans une campagne virulente. Le président du Medef, Patrick Martin, l’a qualifiée de « proposition lunaire », promettant une mobilisation contre elle. Nicolas Dufourcq, directeur de Bpifrance, y voit une mesure « communiste », une « haine du riche ». Bernard Arnault, première fortune de France et directement concerné, n’a pas hésité à accuser Zucman d’être un « militant d’extrême gauche » qui voudrait « détruire l’économie libérale ».
Cette violence n’est pas anodine. Elle révèle que la taxe Zucman touche un point sensible : pour la première fois depuis la suppression de l’ISF en 2018, les ultrariches se voient rappelés à leurs responsabilités fiscales.
Démystifier les contre-arguments
Les critiques se ressemblent : la taxe serait inapplicable, confiscatoire, destructrice de l’économie. Or, les économistes présents à l’Assemblée ont démonté méthodiquement ces arguments. Sur la prétendue absence de liquidité, Joseph Stiglitz a été clair : « Si vous avez des centaines de millions ou des milliards, vous pouvez en convertir une partie en liquidité pour payer 2 % d’impôt. » L’idée que ces fortunes colossales seraient incapables de s’acquitter d’une telle taxe est une fable.
Quant à l’argument d’une fuite massive des richesses, il relève du même registre alarmiste que les discours des années 1980 annonçant les chars soviétiques si Mitterrand était élu. Gabriel Zucman a rappelé que « l’exil fiscal n’est pas une loi de la nature : c’est un choix de politique publique ». Il propose d’ailleurs une « exit tax » de cinq ans pour les contribuables tentés par l’évasion. Jayati Ghosh a cité des exemples récents comme la Colombie et l’Espagne, où une taxe sur la fortune a été instaurée sans catastrophe économique ni exode massif.
Ce que rapporterait la taxe Zucman
- Fortunes concernées : environ 75 foyers en France disposent d’un patrimoine supérieur à 1 milliard d’euros, et près de 500 personnes dépassent le seuil de 100 millions.
- Rendement attendu : la taxe à 2 % rapporterait 15 à 20 milliards d’euros par an en France, selon les estimations.
- Comparaison : c’est l’équivalent du budget annuel de l’enseignement supérieur et de la recherche, ou encore de la moitié du déficit de l’Assurance maladie.
- Échelle internationale : si l’ensemble du G20 adoptait une telle taxe, le rendement global atteindrait 250 milliards d’euros par an, de quoi financer massivement la transition écologique et la lutte contre la pauvreté.
Aller chercher l’argent là où il est
Le fond du problème est simple : l’optimisation fiscale généralisée des milliardaires prive les États de ressources indispensables.
Joseph Stiglitz a rappelé que la croissance américaine d’après-guerre doit beaucoup aux investissements publics massifs dans l’éducation, les infrastructures, la recherche. Ce sont ces investissements qui ont fait des États-Unis une puissance mondiale. Or aujourd’hui, ces moyens publics sont asséchés par l’évasion et la complaisance fiscale des ultrariches. « Les milliardaires aiment se présenter comme les moteurs de la croissance, mais ils en bloquent les leviers en refusant de payer leur juste part », a résumé Stiglitz.
Jayati Ghosh a insisté : l’innovation ne vient pas des grandes fortunes, mais des petites et moyennes entreprises. Bernard Arnault, par exemple, n’a pas bâti son empire sur l’innovation mais sur des rachats et une position dominante. Les profits du grand capital viennent de la rente, pas du génie créatif.
Pas une mesure isolée, mais un choix de société
Certains objectent que la France serait seule et désavantagée. Mais là encore, les économistes rappellent qu’au contraire, prendre l’initiative peut créer un effet d’entraînement. D’autant que des négociations sont en cours à l’ONU pour un impôt minimum mondial sur les hauts patrimoines. La taxe Zucman s’inscrit dans ce mouvement international, elle en serait un moteur. Ce n’est donc pas une lubie hexagonale mais une réflexion partagée à l’échelle mondiale. Les inégalités atteignent un niveau tel qu’elles menacent la cohésion sociale et la démocratie. Taxer les ultrariches n’est pas une option idéologique, mais une nécessité économique et politique.
Des résistances qui en disent long
On notera l’absence remarquée des députés macronistes, de droite et d’extrême droite à la réunion du 1er octobre. Tous avaient déserté, laissant la salle aux économistes et aux députés de gauche. Un symbole fort : alors que le débat portait sur une question centrale de justice fiscale, la majorité présidentielle et ses alliés ont préféré s’éclipser plutôt que d’affronter les arguments. Le seul contradicteur présent, Charles de Courson, a reconnu le problème mais contesté la solution, préférant réformer certains dispositifs d’optimisation fiscale au cas par cas. Mais cette approche, aussi technique soit-elle, ne répond pas à l’ampleur du problème. Elle se limite à colmater des brèches dans un système volontairement conçu pour être contourné.
Un plaidoyer pour la justice sociale et fiscale
La taxe Zucman n’est pas punitive, elle est profondément démocratique. Elle ne cherche pas à abattre les riches, mais à corriger une anomalie : celle d’un système où les salariés paient l’impôt à la source, quand les milliardaires multiplient les échappatoires pour s’y soustraire. Avec un taux de 2 %, elle ne vise pas à renverser la table, mais à rétablir une équité minimale. Cet impôt permettrait de financer durablement l’éducation, la santé, la transition écologique, autant de biens communs dont dépend l’avenir de toutes et tous.
En vérité, ce que craint le camp du capital, ce n’est pas la « confiscation » de leur fortune : c’est la remise en cause de leur pouvoir politique. Car l’argent accumulé leur sert autant à acheter des entreprises qu’à influencer les gouvernements, les médias, les lois.
Choisir la justice contre l’impunité
La taxe Zucman est une mesure simple, efficace et juste. Elle vise à mettre fin à un système d’impunité qui mine nos démocraties. Elle rappelle une évidence : l’argent est là, il suffit d’aller le chercher. Comme le disait Joseph Stiglitz, « les super-riches resteront très riches ». Mais la société, elle, y gagnerait les moyens de financer ses priorités. C’est une question de volonté politique, de courage et de justice. Ne pas appliquer cette taxe, ce serait accepter que l’école, l’hôpital, la planète soient sacrifiés pour préserver l’accumulation sans limite de quelques milliardaires.
📥 Télécharger l’article : [Taxe Zucman : une justice fiscale nécessaire face aux privilèges des ultrariches]