19 juin 2025, tribunal de Châlons-en-Champagne : les 57 vendangeurs victimes d’exploitation assistent avec dignité au procès de leurs exploiteurs, soutenus par la CGT et les parties civiles. Un moment fort de vérité et de justice. © CGT champagne
✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 20 juin 2025
⏱️Temps de lecture 5 minutes
Ce jeudi 19 juin 2025, un rassemblement hautement symbolique s’est tenu de 10h à 15h devant le tribunal correctionnel de Châlons-en-Champagne. Organisée par la CGT Champagne, cette manifestation militante a mobilisé environ 150 élus et militants CGT venus soutenir les 57 vendangeurs victimes d’exploitation lors de la récolte 2023.
Manifestation devant le tribunal : sono, banderoles et solidarité pour que justice soit rendue
Au programme : sono militante, prises de parole engagées, distribution de tracts, drapeaux CGT, banderole indiquant « Prestataires = Fossoyeur de la champagne », et barbecue solidaire pour assurer la restauration sur place. Une mobilisation à la hauteur de l’enjeu : mettre un coup d’arrêt à l’esclavage moderne qui se cache derrière certaines bouteilles de Champagne.
Mais ce combat ne s’est pas mené seul. L’affaire a été portée en justice par un collectif large de la CGT, réunissant :
- la Confédération CGT,
- la FNAF-CGT (Fédération nationale agroalimentaire et forestière),
- l’Union départementale CGT de la Marne,
- et la CGT Champagne, qui a assuré la logistique complète du rassemblement devant le tribunal.
À leurs côtés, plusieurs organisations se sont constituées partie civile, dont :
- la Ligue des droits de l’homme (LDH),
- la Mutualité sociale agricole (MSA),
- et le Comité Champagne (CIVC), fait inédit dans ce type de procès.
Cette mobilisation conjointe a permis de faire résonner, haut et fort, la voix des travailleurs et travailleuses exploités.
Un procès pour traite d’êtres humains dans les vignes de Champagne
Le procès qui s’est tenu ce 19 juin, dans une salle comble du tribunal, a mis en lumière une organisation mafieuse de la sous-traitance viticole, où la précarité devient un outil d’enrichissement pour quelques-uns.
Au cœur du scandale : la société Anavim, dirigée par une femme originaire du Kirghizistan, employeuse directe d’une centaine de saisonniers, recrutés en Île-de-France par ses complices. Les vendangeurs – originaires pour la plupart du Mali, du Sénégal, de Côte d’Ivoire ou du Soudan – étaient sans papiers, sans contrat, sans salaire et sans droits.
Ils ont été logés dans une maison insalubre à Nesle-le-Repons : matelas gonflables à même le sol, pas de draps ni couvertures, pas d’eau chaude, cuisine au feu de bois, installations électriques dangereuses, et des sanitaires décrits comme “répugnants” par la préfecture elle-même. Tout cela pour des journées de travail de plus de 12 heures, sans aucune rémunération.
« Ce que nous avons vécu, c’était de l’esclavage pur et simple », a résumé Mamadou Doumbia, l’un des travailleurs présents à l’audience. D’autres ont témoigné face aux juges :
“On nous traitait comme des esclaves. Même des animaux n’auraient pas pu dormir là-dedans.”
“On nous entassait dans un taudis, on bossait du matin au soir, sans nourriture, sans argent, sans respect.”
L’enquête, menée depuis septembre 2023 après un contrôle de l’Inspection du travail, a mis à jour un système d’exploitation organisé et cynique. Et ce système n’aurait pas existé sans la complaisance – voire la complicité – de donneurs d’ordre champenois.
La chaîne de sous-traitance pointée du doigt
Au procès, les regards se sont tournés vers la SARL Cerseuillat de la Gravelle, prestataire champenois basé à Mareuil-le-Port, qui faisait appel depuis 2022 à Anavim.
Ce dernier a reconnu avoir embauché près de 300 saisonniers chaque année pour plus de 40 clients en Champagne, dont 14 maisons de négoce pour son seul centre de pressurage.
Il payait Anavim 0,45 €/kg de raisin cueilli, pour le refacturer entre 0,55 € et 0,60 € à ses propres clients. Une marge bien juteuse… sur le dos de travailleurs réduits à l’état de fantômes.
Cerise sur le gâteau : alors qu’il affirmait au tribunal avoir rompu tout lien avec Anavim, le procureur a révélé que la gérante d’Anavim travaillait encore dans sa société… et logeait chez son propre cousin.
Des réquisitions fortes mais attendues
Après une audience marathon de plus de 14 heures, les réquisitions sont tombées :
- 4 ans de prison, dont 2 ferme, interdiction de gérer une société et interdiction de séjour dans la Marne pendant 5 ans pour la gérante d’Anavim ;
- 3 ans, dont 1 ferme pour chacun des deux complices ;
- 30 000 € d’amende pour la gérante ;
- 10 000 € pour chacun de ses deux associés ;
- 200 000 € d’amende pour la société Cerseuillat de la Gravelle ;
- La dissolution pure et simple de la société Anavim a également été demandée.
Le jugement a été mis en délibéré au 21 juillet. En attendant, les victimes, les syndicats et les associations attendent des peines exemplaires pour tourner une page sombre de l’histoire champenoise.
La CGT : au front contre l’esclavage moderne
Assistant à l’audience et intervenant devant le tribunal, José Blanco, secrétaire général de la CGT Champagne, a rappelé la responsabilité de l’ensemble de la chaîne de production champenoise :
“Ce système d’exploitation par sous-traitance n’est pas une exception. Il est enraciné. Les donneurs d’ordre comme les prestataires doivent être condamnés ensemble. Nous exigeons que les conditions de travail et d’hébergement des saisonniers soient intégrées dans le cahier des charges de l’AOC Champagne. Sans ça, il n’y aura jamais de Champagne propre.”
Il a aussi salué la mobilisation large des structures CGT, mais aussi des parties civiles comme la LDH, la MSA, Il a également noté que pour la première fois le Comité Champagne (CIVC), s’est constitué partie civile dans une affaire de traite d’êtres humains dans la viticulture.
📺 À voir ci-dessous :
- 🎥 Vidéo du rassemblement militant devant le tribunal de Châlons, organisé par la CGT Champagne ;
- 🎤 Prises de parole des représentants CGT, des avocats, de la LDH, du CIVC et des victimes, filmées en intégralité.