RETRAITES :  Remobilisation, réponse au mépris : de quoi les casserolades sont-elles le son ?

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Nouvelle forme de contestation contre la réforme des retraites, les concerts de casseroles révèlent surtout la fragilité d’un gouvernement bien en peine de mener sa politique.

DES  CASSEROLADES PARTOUT EN FRANCE DES QU’UN MEMBRE DU GOUVERNEMENT OU QUE LE CHEF DE L’ETAT SE DEPLACE

NOTE DE L’INTERSYNDICAT CGT DU CHAMPAGNE

CONCERT DE CASSEROLE  A EPERNAY ET MONTMIRAIL 

La CGT avait prévenu depuis une semaine : un comité d’accueil tonitruant serait réservé au ministre de la Santé. Ce fut le cas, d’abord à l’hôpital d’Épernay, où quelques casseroles l’attendaient, puis surtout à Montmirail, devant le siège d’Axon’ Cable, où plus d’une cinquantaine d’opposants à la réforme des retraites ont joué de la marmite et du couvercle. Présents le vendredi 28 avril, dès 9 heures en mode piano, les manifestants ont offert, à l’arrivée du ministre à 11 heures, un spectaculaire crescendo. Les personnalités se sont rapidement engouffrées dans les bâtiments d’Axon’ Cable, où la casserolade n’était plus audible.

Chassé-croisé de casserolades dans l’Hérault

Banderole « Jusqu’au retrait » en étendard, casserole à la main, Sébastien, 37 ans, cheminot à Montpellier et secrétaire local de la CGT, est présent ce mardi 25 avril à Castelnau-le-Lez (Hérault) pour accueillir en fanfare deux ministres, Stanislas Guérini et Gabriel Attal.

« On joue un peu au chat et à la souris, ils n’osent plus trop se montrer ! Mais il y a plus de chats que de souris ! , raconte, hilare, le cheminot, entouré d’une grosse centaine de personnes devant la maison France Services que les ministres doivent visiter ce jour-là ».

Vers 15 heures, la nouvelle tombe : face à la mobilisation locale et au boucan des « dispositifs sonores portatifs » (sic), le ministre des Comptes publics et celui de la Fonction publique annulent leur visite.

« Mais on a appris qu’ils étaient au centre des impôts à Lunel, à 20 kilomètres de là, alors on y va sur le champ ! Il y a déjà une vingtaine de voitures qui sont parties ! , rigole encore Sébastien ».

Toute l’après-midi, c’est un chassé-croisé sur les routes départementales de l’Hérault entre les batteries de cuisines et les ministres : « On les a ratés à Lunel, mais on a su qu’ils allaient à la Grande-Motte, et quand ils sont arrivés à la salle des fêtes, les manifestants étaient déjà là avec les casseroles ».

À Mauguiot (La Grande-Motte), Gabriel Attal a réagi à sa manière, face aux caméras, à la situation un rien ubuesque : « Ceux qui ont le temps d’aller accueillir des ministres en pleine après-midi, en pleine semaine, de 14 heures à 18 heures, a priori ce ne sont pas les Français qui travaillent. »

Une déclaration qui va bien peu dans le sens de l’apaisement et qui n’a fait que décupler la détermination de Sébastien :

« Ils ont profité de leurs 5 minutes de répit pour nous cracher au visage à la télévision. De la part d’un ministre du Budget qui n’a jamais travaillé de sa vie, c’est quand même fort ! Tous les gens qui sont ici sont des travailleurs. »

100 jours de Zbeul

Au même moment, c’est Emmanuel Macron qui était accueilli à Vendôme par le fracas des marmites et des cuillères en bois. Craignant d’être privé de courant, comme lors de sa visite de l’usine de Muttersholtz (Bas-Rhin) la semaine dernière, le président de la République s’était même déplacé dans le Loir-et-Cher avec son propre groupe électrogène !

La veille, Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale, avait dû annuler son déplacement à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE) à Lyon, puis s’était retrouvé coincé à Paris dans son TGV par un concert de casseroles, exfiltré de la gare par une sortie lui permettant d’éviter le bruyant comité d’accueil.

Le même genre de mésaventure est aussi arrivé à Bérangère Couillard, secrétaire d’Etat à la Transition écologique, obligée mardi d’annuler sa visite à la Ligue pour la protection des oiseaux de Rochefort (Charente Maritime) ; ou encore au député Renaissance des Bouches-du-Rhônes Jean-Marc Zulesi, contraint de quitter la fête de la fraise, à Salon-de-Provence, sous les huées et les moqueries.

C’est la nouvelle forme inattendue qu’a prise la mobilisation sociale depuis la validation le 14 avril de l’essentiel de la réforme des retraites par le Conseil constitutionnel. Et singulièrement, depuis le discours télévisé d’Emmanuel Macron trois jours plus tard.

Ce soir-là, des appels à boycotter la parole présidentielle se répandent comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, rapidement relayés par des grosses organisations militantes comme Attac. L’idée des casseroles surgit : « Macron ne nous écoute pas ? Nous ne l’écouterons pas non plus ! »écrit l’organisation.

« C’était LA chose à faire ce jour-là, explique Lou Chesné, porte-parole d’Attac, pour montrer que nous n’étions pas devant notre télé à écouter notre bon président. On ne vous écoute pas, et vous ne pourrez pas passer à autre chose. » »

Depuis, les gling-gling des ustensiles en inox accompagnent chaque déplacement des membres du gouvernement inscrits à l’agenda. Aux « 100 jours d’apaisement » voulus par le chef de l’Etat, le mouvement social a répondu par « 100 jours de Zbeul » (« bordel » en argot, ndlr).

Sur les réseaux sociaux, certains utilisateurs taquins tiennent même un classement strict des villes et des régions, sur le modèle du jeu télévisé Intervilles : 5 points pour l’annulation d’une visite, 2 points pour une belle casserolade. L’Hérault caracole en tête.

Complémentarité avec l’action syndicale

« J’ai recensé les casserolades pour Attac lundi 17 avril, raconte Lou Chesné, on en a compté plus de 450, dans les grandes villes comme dans les petits villages. Il n’a pas fallu grand-chose pour que ça prenne ! On sent que c’est un mouvement de fond, très populaire, très familial. De mon côté, j’ai participé devant la mairie du 13e arrondissement à Paris, et il y avait beaucoup de jeunes ! »

Ces actions « coup de poing », semi-spontanées, sont-elles une façon d’entretenir la flamme du mouvement jusqu’à la prochaine grande date intersyndicale du 1er mai ?

« Il y a une complémentarité avec les actions syndicales plus classiques, confirme la porte-parole d’Attac. Cette mobilisation se réinvente à chaque séquence, on a en ligne de mire des dates ou des événements – en l’occurrence le 1er mai – avec à chaque fois l’envie de réinventer la mobilisation autour de ces dates. Mais tout le monde a le soin de respecter le calendrier intersyndical et cette union qu’on sent inédite. »

Même écho du côté de Sébastien à Montpellier, qui a fait 36 journées de grève contre la réforme des retraites, avant de sortir ses casseroles :

« J’ai connu beaucoup de mobilisations par le passé mais pas de cette teneur. On est assis sur une intersyndicale solide, et le corps militant est particulièrement mobilisé et mobilisable de manière spontanée ! Mon analyse sur ces casserolades, c’est que le gouvernement n’écoute rien et qu’on est dans un mouvement qui est dans sa continuité logique. Avec en perspective un 1er mai qui s’annonce d’ores et déjà historique. »

Continuité logique du mouvement ou nouvel acte ?

« L’équilibre entre les différentes formes protestataires a changé, analyse le sociologue des mouvements sociaux Karel Yon. Nous ne sommes plus dans la séquence où il y avait des rendez-vous manifestants hebdomadaires qui s’articulaient avec des grèves qui s’installaient dans les raffineries, dans le nettoyage. Il est certain que ce sont plutôt des formes de contestations « à bas bruit » (rires) qui s’entretiennent autour de l’accompagnement du président de la République et de ses ministres en tournée. J’ai l’impression que ce qui est en train de s’installer, avec cette contestation permanente, est davantage un révélateur de la fragilisation du pouvoir que de la puissance du mouvement social. »

Pour autant, le sociologue note que l’on retrouve dans ces actions spontanées toutes sortes de militants, pas seulement les « insatisfaits de la stratégie intersyndicale », qui auraient souhaité depuis le départ des modes d’actions plus radicaux :

« Quand on regarde tous ces comités d’accueil, on voit des drapeaux CFDT, on voit une syndicaliste de l’UNSA qui interpelle Emmanuel Macron. Autrement dit, ce ne sont pas que les habituels réseaux du militantisme contestataire qui sont là, ce sont aussi des franges plus larges du mouvement syndical, qui considèrent que la bataille n’est pas finie. Et qui ont fait l’expérience sur le terrain du mépris du pouvoir et de la répression. »

Fragilité du pouvoir

La multiplication de ces actions et leur diversité sociologique et géographique indiquent-t-elles que nous sommes passés à une nouvelle étape de la crise ouverte par la réforme des retraites ? Karel Yon situe un premier basculement de la crise sociale à la crise politique au moment du recours au 49.3 :

« Avec la décision du Conseil constitutionnel, on est peut-être passé de la crise politique à la crise de régime. C’est maintenant la légitimité des institutions qui est mise en question, face à l’incapacité des gouvernants à entendre les revendications sociales et à l’utilisation très instrumentale des règles constitutionnelles. »

D’autant que sur le plan institutionnel aussi, le pouvoir se retrouve en difficulté, obligé de reporter la loi Immigration faute de majorité, ou de recourir à un texte de loi anti-terroriste pour interdire par arrêtés les manifestations sonores.

«Je dirais que l’utilisation des casserolades renvoie un peu à ce qui s’était passé en Argentine en 2001 avec les « cacerolazos », à un imaginaire sud-américain de révolte contre le néolibéralisme, poursuit le sociologue. Ce moment « populiste » de rupture entre l’élite gouvernante et les classes populaires, l’idée que les gouvernants ne nous écoutent pas et que la seule chose qu’on peut leur opposer, c’est de couvrir leur monologue ». 

Que deviendront les casserolades après le 1er mai si, comme on peut l’anticiper, des millions de personnes dans les rues pour la 14e fois ne suffisent pas à obtenir le retrait de la réforme ? « De toute façon, on respectera notre promesse, assure Sébastien : partout où ils iront, on sera là ! »

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