Fondateurs de la société de prestation viticole Rajviti, Chandrika Thangarajah et son époux, Pathmaja Suntharalingam, ont été reconnus coupable de « traite d’êtres humains », hier, par la cour d’appel, confirmant ainsi le premier jugement rendu par le tribunal correctionnel, en 2020.

Ce couple a été condamné à trois ans de prison, dont un avec sursis – la partie ferme sera aménagée par un bracelet électronique. Ainsi s’écrit l’épilogue d’une histoire qui aura jeté une lumière crue sur les arrière-cuisines parfois peu reluisantes du monde du champagne, à mille lieues du glamour à laquelle ses promoteurs veulent le réduire.

UN SYSTÈME DE SOUS-TRAITANTS EN CASCADE, SELON LES PARTIES CIVILES

Le 28 août 2018, 48 étrangers venus pour les vendanges avaient été découverts, logés dans des conditions indignes. Deux jours plus tard, un autre contrôle mené par les gendarmes à Oiry (Marne) avait recensé la présence de 77 autres saisonniers, là encore hébergés dans une insalubrité « contraire à la dignité ».

Lors du premier procès, en juillet 2020, six prévenus et trois sociétés avaient été jugés. Outre les époux déjà mentionnés, deux donneurs d’ordres de cette société, dont l’un a vu hier sa peine réduite à un an de prison avec sursis, et un cadre de Veuve Clicquot avaient comparu – seul ce dernier avait été intégralement relaxé des faits reprochés en première instance. Au total, près de 200 victimes, majoritairement afghanes, ont été recensées dans ce dossier qui, selon l’avocat du comité contre l’esclavage moderne, a révélé un « système » de « sous-traitants en cascade » qui « (aura) profité à toute la chaîne » .

Mais d’autres faits ont témoigné de la misère et de l’exploitation de salariés venants faire les vendanges.

Souvenez-vous !…

À Épernay en 2020, cette année-là, dans la capitale du champagne des dizaines de vendangeurs dormaient dehors à la gare ou sous la halle de Bernon. Une situation qui était aggravée par le Covid.

La place Fada-N’Gourma située dans le quartier de Bernon, s’était transformée en campement de fortune. Sous le auvent de la halle, ils étaient presque une centaine, assis sur des bancs ou allongés sur des cartons, parfois des tapis, à attendre. Attendre quoi ? « On est venu ici chercher du travail pour les vendanges, explique Fofana Alassame. Le matin, des gens passent pour nous embaucher à la journée. »

Et les malchanceux du jour n’avaient alors d’autre choix que d’espérer être choisis le lendemain pour se faire un peu d’argent. Quand ils ne se font pas arnaquer. Chaque année, les vendanges en champagne attirent de nombreuses personnes très précaires prêtes à passer plusieurs jours (et plusieurs nuits) dans la rue pour trouver du travail, mais elles attirent aussi d’autres prédateurs, responsables de sociétés de prestations éphémères, prêts à les exploiter et les traités de manière inhumaine.

Puis, comme une impression de déjà-vu. Lors des vendanges 2021, dans la commune viticole de Oiry (Marne), les gendarmes avaient procédé à l’arrestation d’au moins un homme, dans le cadre d’une enquête visant des prestataires de l’appellation Champagne. Ces derniers employaient traditionnellement des vendangeurs en les mettant à disposition des maisons ou des vignerons, selon des pratiques encadrées. Mais certains semblaient avoir dérogé à la règle.

En effet, selon les informations de l’époque, l’enquête préliminaire aurait commencé dès la vendange 2020 sur plusieurs départements. Un an après, elle avait débouché sur l’ouverture d’une information judiciaire. D’abord dirigée par le procureur de Reims, elle avait été reprise par la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille, compétente en matière de lutte contre la criminalité et la délinquance organisée.

Et, toujours selon les informations de l’époque, 400 à 500 saisonniers auraient cessé leur activité en pleine vendange à la suite de cette ou ces arrestations.

Alors pour redorer le blason champenois et se racheter une belle image, et afin d’éviter que de telles situations ne se reproduisent, le comité champagne (CIVC) œuvre à une charte des « bonnes pratiques » afin d’encadrer le monde de la prestation vendanges. ce chantier, engagé avec la MSA (sécurité sociale agricole) Aube, Marne et Picardie, les services de l’État et des sociétés de prestations, a pris du retard, en raison de la pandémie.

Des avancées sont attendues d’ici la fin de l’année.

Mais ne doit-on pas redouter d’autres scandales au cours de la vendange 2022 qui, selon certains experts, devraient débuter fin août ?

Une charte fût-t-elle de bonne conduite suffira-t-elle à éviter ce genre de situation ?

Et si on commençait plutôt par faire respecter le droit de vigilance des donneurs d’ordres prévus par l’URSSAF et la LOI n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre… car dans le cadre du jugement des responsables des sociétés pour traite d’humains, en première instance, le principal donneur d’ordre n’a pas été inquiété par ses manquements au devoir de vigilance, quant à son fusible, il a tout simplement été relaxé. Et, si chaque partie avait respecté ses devoirs, jamais cette scandaleuse histoire d’exploitation de la misère humaine n’aurait éclaboussé l’image du vignoble champenois.

Alors oui ! Il y a bel et bien une part de misère humaine dans les bulles des prestigieuses bouteilles de  champagne…

À bons entendeurs…