INÉGALITÉS 

Pour vivre correctement, comptez au moins 1 630 euros par mois

C’est pour quoi, afin vivre décemment,  la CGT revendique que le smic soit porté à 2 000 € brut par mois…

Selon les calculs de l’économiste Pierre Concialdi, le coût du panier de biens et services nécessaire à une vie décente a augmenté plus vite que l’inflation, et se situe nettement au-dessus du salaire minimum.

De quel revenu avons-nous besoin pour vivre décemment ? C’est la question redoutablement simple qui avait initié, il y a bientôt dix ans, la construction par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion (Onpes, disparu depuis) des « budgets de référence ». Le principe : des groupes de citoyens avaient été chargés d’établir le panier de biens minimum dont ont besoin les ménages pour vivre sans privations et participer à la vie sociale.

Ces paniers avaient été établis pour diverses configurations : personne seule, couple sans enfants, familles monoparentales, etc. Puis, l’Onpes les avait traduits en montants sonnants et trébuchants. A l’époque, ces budgets s’échelonnaient en 2014 de 1 424 euros pour une personne seule à 3 284 euros pour un couple d’actifs avec deux enfants.

Huit ans, une crise sanitaire et un retour de l’inflation après, où en est-on ? La disparition de l’Onpes a malheureusement entraîné un retard dans l’actualisation des données. C’est pourquoi, dans une note de l’Ires publiée la semaine dernière, l’économiste Pierre Concialdi a pris les devants et calculé l’évolution des budgets de référence afin d’établir leur montant actuel.

Le coût de la vie a augmenté plus vite que l’inflation officielle

Selon ses estimations, fondées sur une prise en compte des indices de prix au niveau le plus détaillé, le revenu minimum nécessaire pour mener une vie décente s’élève au premier semestre 2022 à 1 634 euros pour une personne seule, soit 195 euros de plus qu’en 2014. Un couple avec deux enfants aurait, lui, besoin de 3 744 euros pour vivre correctement, contre 3 342 euros huit ans plus tôt.

L’économiste note que, dans toutes les configurations étudiées, ce « coût de la vie au minimum » a augmenté plus vite, entre 12 % et 13,5 %, que l’indice des prix moyen calculé par l’Insee (10,1 %). Le poste qui s’est le plus alourdi – de 17,8 % à 25,5 % selon le type de ménage – est celui de la « vie sociale », qui regroupe les budgets liés aux vacances, aux sorties culturelles ou au restaurant, aux invitations et cadeaux faits aux amis, etc. Pierre Concialdi précise qu’au sein de ce poste, ce sont les frais d’hébergement pour les vacances (+ 33,6 %), les dépenses pour les sorties (+ 14,1 %) et l’achat de produits culturels (+ 10,1 %) qui ont le plus augmenté.

De façon plus attendue, les autres budgets qui connaissent les plus fortes augmentations sont l’alimentation (forte hausse du coût des produits frais), les transports (envolée des prix du gazole, coût de l’entretien, frais d’assurance, stationnement) et le logement, tiré par le montant des charges : prix de l’électricité et du chauffage bien sûr, mais aussi hausse des tarifs d’assurance (+ 17,7 %) et d’entretien des immeubles (+ 14,7 %). Inversement, les budgets pour l’hygiène et le soin, l’équipement (mobiliers, appareils électroniques et électroménagers) et l’habillement ont évolué moins vite que l’indice des prix moyen, voire ont stagné, et modère donc la hausse des budgets de référence.

Un tiers des ménages n’ont pas les ressources suffisantes

L’économiste ne peut que constater que le niveau actuel du Smic ne permet généralement pas aux différents types de ménage d’atteindre ce « niveau de vie minimum décent ». Le décalage est particulièrement important pour les familles monoparentales, avec un budget de référence équivalant à 1,95 Smic (1,23 pour une personne seule). La redistribution corrige en partie ces écarts, sans les annuler.

S’appuyant sur les salaires réels des ménages correspondant aux configurations étudiées, Pierre Concialdi estime par ailleurs « qu’un peu plus d’un tiers d’entre eux (34 à 35 % environ) dispose de ressources salariales insuffisantes pour accéder à un niveau de vie minimum décent », une proportion sensiblement équivalente à celle mise en évidence en 2014.

Faut-il alors faire de ces budgets de référence un nouveau seuil de pauvreté ? On sait que les réflexions vont bon train sur les limites des indicateurs habituels de la pauvreté monétaire, accusés de laisser de côté une partie du phénomène.

« L’objectif des budgets de référence construits par l’Onpes n’est pas de se substituer aux seuils statistiques usuels de pauvreté monétaire, précise toutefois Pierre Concialdi. Les seuils de pauvreté visent à définir un seuil au-dessous duquel les ménages ont de forts risques de connaître des privations importantes dans leur vie quotidienne. Par contraste, les budgets de référence définissent un seuil au-dessus duquel on peut raisonnablement supposer que les ménages ont la capacité de participer effectivement à la vie sociale sans risque de connaître d’importantes privations. On peut dire, en résumé, que les seuils de pauvreté définissent des seuils d’exclusion sociale tandis que les budgets de référence visent à établir un seuil minimum d’inclusion sociale. »

Cette démarche invite à approfondir encore notre connaissance du dégradé de situations que représente la France des bas salaires, en particulier de cette zone grise des revenus que l’on pourrait situer entre le seuil de pauvreté officiel (1 128 euros pour une personne seule en 2020) et ces budgets de référence.

Cette France qui, sans être aux abois, connaît des difficultés dans son quotidien, et au sein de laquelle se diffuse un sentiment de pauvreté qui s’étend bien au-delà des populations reconnues comme telles selon les critères habituels de la statistique publique.