À l’ancien café de la gare, à Oiry (Marne), près de 80 saisonniers, étrangers en majorité, ont été hébergés dans des conditions indignes

Condamnés en première instance malgré leurs dénégations, ces sous-traitants de grandes maisons de champagne comparaissent à nouveau aujourd’hui et demain. 

LES FAITS

26 AOÛT 2018 : les gendarmes découvrent que 48 étrangers venus pour les vendanges sont logés dans des conditions indignes, dans l’Aube. Le lieu appartient à la SARL Rajviti.

28 AOÛT 2018 : un autre contrôle mené à Oiry (Marne) permet de découvrir 77 vendangeurs logés dans des conditions contraires à la dignité. Le lieu devait être acquis par Rajviti.

JUILLET 2020 : le procès de six prévenus et trois sociétés a lieu. Outre les époux qui géraient Rajviti, poursuivis pour « traite d’êtres humains », deux donneurs d’ordres de cette société et un cadre de Veuve Clicquot sont jugés. Seul ce dernier a été intégralement relaxé en première instance.

À l’énoncé du jugement rendu par les juges du tribunal correctionnel de Reims, le 11 septembre 2020, ils ont encaissé sans broncher leur condamnation. Chandrika Thangarajah et son époux, Pathmaja Suntharalingam, dont le procès en appel s’ouvre ce matin devant la cour d’appel de Reims, venaient d’être reconnus coupables de « traite d’êtres humains » et condamnés à trois ans de prison, dont un avec sursis.

Fondateurs de la société de prestation viticole Rajviti à la fin de 2016, ces trentenaires écopaient en prime de 100 000 euros d’amende chacun et d’une interdiction de gérer pendant douze ans. L’audience tenue en juillet 2020, durant laquelle six prévenus et trois sociétés comparaissaient, avait jeté une lumière crue sur les arrière-cuisines parfois peu reluisantes du monde du champagne, à mille lieues du glamour à laquelle ses promoteurs veulent habituellement le réduire.

Parmi les six prévenus, seul le cadre de chez Veuve Clicquot a été relaxé par les juges

À propos de Chandrika, l’un des vendangeurs étrangers non déclarés, sous-nourris et logés dans des conditions scandaleuses, en août 2018, dans le cadre des vendanges, avait eu cette phrase : « Les passeurs s’occupaient mieux de nous que cette dame. » Un soir d’août 2018, un promeneur avait croisé une quarantaine de ces vendangeurs, livrés à eux-mêmes : « Ils m’ont dit qu’ils avaient faim et soif, qu’ils n’étaient pas payés. Ils étaient apeurés de ce qui leur arrivait. »

Au-dessus de Rajviti, sous-traitant de sous-traitant de maison de champagne, avaient été condamnés deux donneurs d’ordres. La société Vitichenille et ses deux gérants : 18 mois de prison dont six avec sursis et 15 000 euros d’amende pour le premier, notamment reconnu coupable de « soumission de plusieurs personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes » ; 5 000 euros d’amende pour le second, à l’époque en conflit avec son cogérant et pour cela à l’arrière-plan de la procédure.

PRÈS DE 200 VICTIMES RECENSÉES

La société Serviti, ensuite, et son dirigeant, condamné à six mois de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende car coupable d’avoir recouru « aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé ». Des amendes ont été aussi infligées aux sociétés Rajviti, Vitichenille et Serviti. Tous ceux-là seront également rejugés aujourd’hui et demain devant la cour d’appel. Un jeune cadre de Veuve Clicquot, qui comptait Vitichenille et Serviti parmi ses sous-traitants, avait pour sa part été relaxé.

Note de l’Intersyndicat CGT du champagne :

Pourquoi la société champagne Veuve Clicquot, elle-même donneuse d’ordre des sociétés Vitichenille et Serviti, a t’elle bénéficié d’un non-lieu de la part du procureur de la république, alors qu’elle avait une obligation de vigilance et de diligence vis à vis de l’URSSAF ?

Pourquoi, alors qu’elle a fermé les yeux sur ce « système » de « donneurs d’ordre et de sous-traitants en cascade » qui « aurait profité à toute la chaîne » n’a t’elle pas eu à rendre des comptes à la justice. En fait, le jeune cadre de Veuve Clicquot, qui comptait Vitichenille et Serviti parmi ses sous-traitants, pour sa part relaxé lors du 1er jugement, a tout simplement fait office de fusible. Mais ne dit-on pas : « Selon que vous serez puissant ou misérable les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »…

Près de 200 victimes, majoritairement afghanes, sont recensées dans ce dossier. Durant sa plaidoirie, l’avocat du comité contre l’esclavage moderne dénonçait un « système » de « sous-traitants en cascade » qui « avait profité à toute la chaîne » . Une vision battue en brèche par la défense, dont l’un des avocats tonnait : « La réalité des vendanges, c’est celle-là : des sous-traitants qui doivent aller vite, trop vite pour tout vérifier. Pendant les vendanges, la seule chose qui compte, c’est apporter le raisin au pressoir, sinon, le contrat avec la grande maison ne sera pas reconduit. » Cet argumentaire convaincra-il davantage qu’en première instance ? Jugement mercredi.