Thierry Aubertin, Philippe Cothenet et José Blanco s’inquiètent d’un recours de plus en plus fréquent aux prestataires et à la sous-traitance.

Face à la pénurie d’emplois, à la dégradation des conditions de travail et aux pertes de salaire des emplois viticoles, le secrétaire général de l’Intersyndicat CGT du champagne, le secrétaire général ainsi que le secrétaire général adjoint du syndicat des ouvriers vignerons CGT du champagne ont été interviewés par le journal l’Union…

Article paru dans l’union du samedi 27 et lundi 29 août 2022. Temps de lecture : 6 mn

Epernay 

Recours accru aux travailleurs étrangers, pénurie de main-d’œuvre, salaire… les représentants de l’intersyndicale CGT Champagne viendront présenter leurs doléances au cabinet du ministre du Travail, Olivier Dussopt, le 8 septembre. Ils s’inquiètent d’une dégradation des conditions de travail.

«On a envoyé notre lettre le 20 juillet (lire) et dès le 22, nous avions une réponse et une invitation. Au moins, ça veut dire qu’ils sont intéressés par ce que nous avons à dire. » José Blanco, secrétaire général de l’intersyndicale CGT, ne cache pas une certaine satisfaction. Mais il reste prudent : « On est écoutés, ça oui. Entendus, c’est autre chose », sourit cet habitué des rencontres avec les cabinets ministériels. « Mais cette fois-ci, on sent qu’ils sont vraiment curieux de ce qu’on a à dire », espère-t-il. Et avec ses collègues, Philippe Cothenet et Thierry Aubertin, ils ont une longue liste de doléances.

On voit qu’il y a de plus en plus de prestataires qui font venir des étrangers toute l’année

Philippe COTHENET

Alors que le recrutement pour les vendanges bat son plein, beaucoup de vignerons se souviennent des grandes difficultés qu’ils ont eues pour embaucher des bras supplémentaires lors du palissage en mai dernier, un travail chronophage. « On voit qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre et elle est entretenue par les employeurs eux-mêmes qui n’améliorent pas les salaires (voir ci-contre) et les conditions de travail », dénonce José Blanco qui cite la chute vertigineuse du nombre de salariés selon des données de la Mutuelle sociale agricole (MSA), relayée par le Syndicat général des vignerons (SGV) : « En 2018, on recensait 99 322 salariés sur l’appellation pour retomber en 2020 à 84 167 et en 2021 à 75 176. Les CDI sont aussi en baisse, on est passé de 7 163 CDI en 2020 à 5 919 en 2021. »

« On pense aux vendanges, mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg, commente Philippe Cothenet, secrétaire du syndicat vigneron CGT champagne. On voit qu’il y a de plus en plus de prestataires qui font venir des étrangers toute l’année. On n’est pas contre, mais il y a moins de protection pour eux et ils rentrent en concurrence avec nos jeunes diplômés d’Avize et Gionges alors qu’on ne sait pas si les extérieurs ont les bonnes qualifications. Résultat, ils vont partir et il n’y aura plus que des saisonniers ici. »

Face à l’essor de ces missions à la tâche, ils craignent que le négoce embauche de moins en moins de salariés en CDI. « Le gars qui doit venir travailler aux vignes avec sa propre voiture et qu’on ne loge même pas, ce n’est pas possible, dénonce José Blanco. Il y a des efforts à faire. »

Tous ont en tête le scandale de 2018 où 120 vendangeurs étrangers étaient logés dans des conditions insalubres dans une maison à Oiry. Le couple à la tête de la société de sous-traitance avait été condamné pour traite d’êtres humains en juillet 2020. « Le champagne est une vitrine et il faut se montrer à la hauteur », tance José Blanco qui veut que les conditions de travail soient plus drastiquement contrôlées et que le cahier des charges de l’appellation en tienne compte. « On ne parle pas de changer de modèle, mais on ne peut plus continuer ainsi. »

Une demande qui leur semble tout à fait tenable alors « qu’on a atteint le Mont Everest l’an dernier en chiffre d’affaires (5,5 milliards d’euros, un record) et qu’on va le dépasser cette année », remarque Philippe Cothenet. Thierry Aubertin, secrétaire CGT, conclut avec une cruelle comparaison : « Question méthodes de production, les mousseux montent en gamme et nous, on fait l’inverse. » Ils espèrent le faire entendre aux employeurs et à l’État maintenant.

LE SMIC AUGMENTE SI VITE QUE LES SALAIRES NE SUIVENT PLUS

Avec l’inflation, le salaire minimum a logiquement suivi la hausse et a augmenté de 5,9 % depuis le début de l’année. Depuis le 1 er août, le taux horaire brut est de 11,07€. Le Smic, revalorisé en janvier (+0,9 %), mai (+2,65 %) et août (+2,01 %) grimpe vite. Problème : l’augmentation est si rapide que la convention collective nationale de la production agricole ne suit pas. Ainsi, les quatre premiers paliers pour un employé du vignoble se retrouvent au même taux horaire : 11,07€. « On a inventé la promotion non-financière », rigole Thierry Aubertin, secrétaire de l’intersyndicale du champagne. Officiellement, les deux premiers paliers sont à 10,85€ et 10,94€ mais il est interdit pour l’employeur de payer sous le taux horaire minimum. Le syndicat général des vignerons (SGV) s’est fendu d’un courrier explicatif au 1 er août : « Depuis maintenant de nombreux mois, on constate une évolution de plus en plus fréquente du Smic liée à l’inflation (…). Le mécanisme est le suivant : les partenaires sociaux nationaux signent un avenant pour revaloriser les minima de salaire et l’avenant s’applique au premier jour du mois civil suivant la parution de l’arrêté d’extension au Journal officiel. Cependant, la procédure juridique d’extension d’avenant de salaires prend du temps et le Smic évolue très régulièrement, de ce fait, un décalage se crée, ce qui entraîne un écrasement des paliers. » Toutefois, les employeurs peuvent dès à présent augmenter les salaires pour suivre la nouvelle grille. Ils n’en ont pas l’obligation. « Ce n’est pas très attractif pour la profession », déplore José Blanco, secrétaire général de l’intersyndicale qui espère obtenir une réunion de la profession à ce sujet.

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